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du traitement de la folie a été posé sur des bases psychologiques, et on a vu surgir une réforme médicale qui se poursuit. Chaque jour, la science s’affermit dans cette direction féconde, et rarement les esprits se sont portés avec plus d’ardeur vers l’étude des phénomènes humains ; rarement aussi les graves questions que soulèvent les maladies de l’intelligence ont été l’objet de discussions à la fois plus vives et plus approfondies.

Déjà nous avons en occasion de signaler cette tendance philosophique de la médecine moderne[1]. L’hallucination, cette forme extraordinaire des maladies de l’esprit, a été dans ces derniers temps étudiée sous ses aspects les plus divers. En cherchant à préciser les résultats qui avaient sur ce point couronné les efforts de la science, nous avons dû remonter aux causes de la maladie, en indiquer les formes. Nous avons montré l’esprit abusé par de fausses sensations, et courant, à la suite de cette erreur, vers les abîmes où la raison s’éteint. Il y a une autre maladie, ou, pour mieux dire, une infirmité de l’esprit qui excite aujourd’hui l’intérêt des savans et des penseurs : c’est l’idiotisme. Ici plus de désordres du principe intellectuel chez l’homme, mais l’atonie, mais la mort. Un tel engourdissement des facultés devait surtout préoccuper les observateurs moralistes : c’est dans l’état de privation qu’on peut le mieux étudier, par la nature même des contrastes, le mystère profond de l’intelligence humaine.

Supposez-vous tout à coup transporté au milieu d’une troupe d’êtres sans nom, dont les uns vous fuient avec les signes d’une folle terreur, dont les autres vous poursuivent avec une pétulance ridicule, tandis que la plupart s’affaissent tristement sous la chape de plomb de leur nullité morale ; à ces cris sauvages, à ces regards fixes, vous vous croiriez parmi des bêtes humaines : vous êtes dans une réunion d’idiots. Exposé indifféremment à toutes les intempéries des saisons, l’idiot ne sait pas réagir sur le monde extérieur : pauvre cerveau passif, pauvre jouet, il reçoit, si l’on n’y prend garde, le contact, que dis-je ? l’insulte de tout ce qui l’entoure. Incapable de se défendre contre les élémens, privé de destination sur le globe, simple apparence, simple chose, impuissant à choisir avec discernement entre le bien et le mal, il agit sans conscience, sans liberté : la loi humaine passe à côté de lui sans l’atteindre.

Tel est l’état de l’idiot avant que l’éducation entreprenne de le régénérer. Le tableau de ces difformités morales devait éloigner pour long-temps les regards de la bienfaisance. L’antiquité se souciait peu des êtres incomplets que la nature avait mis pour ainsi dire hors de la loi humaine ; elle ne leur reconnaissait même pas le droit de vivre. Les enfans

  1. Voyez, dans la livraison du 15 octobre 1845, des Phénomènes de l’hallucination.