Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous a inspiré un vif intérêt. Le roman et le drame ont entre eux de telles affinités et de telles différences, qu’il y a autant de raisons pour motiver les succès du même écrivain dans les deux genres que pour les empêcher. Il y avait donc là un problème littéraire digne de la curiosité de ceux qui s’inquiètent encore de l’art et de ses destinées. M. de Balzac avait-il enfin trouvé cette dextérité, cette justesse d’intentions, cette vérité de touche indispensables au poète dramatique ? Allions-nous assister à une transformation lumineuse de la pesanteur en souplesse, et de la manie du paradoxe en une verve de bon sens ? À ces questions, les faits ont tristement répondu. Nous n’aurons garde de troubler dans leur tombe Vautrin et Quinola, et nous voulons encore moins affirmer que M. de Balzac ne trouvera jamais un succès au théâtre. Seulement la métamorphose qui peut seule amener ce grand événement est encore attendue.

M. de Balzac franchira-t-il le niveau connu de son talent pour monter plus haut ? Il serait d’une souveraine injustice de prononcer le mot de décadence au sujet de ce qu’il écrit aujourd’hui. Non, M. de Balzac ne déchoit pas, mais il n’avance pas non plus : toujours mêmes qualités, toujours mêmes défauts. Nous ne reprocherons pas trop vivement à M. de Balzac de reproduire dans ses derniers romans des caractères qu’on trouve déjà dans les premiers et dans les meilleurs. Le nombre n’est pas infini des types principaux que le roman et le drame peuvent mettre en relief. Ce qui nous paraît plus grave, c’est qu’en multipliant des variations sur d’anciens motifs, le romancier n’a pas su rendre ses procédés d’exécution plus purs, plus corrects et plus fins. Il confond toujours la vérité au point de vue de l’art avec ce que la réalité dans la vie a de plus grossier et de plus cynique : erreur funeste qui fait en maints endroits d’une œuvre d’imagination un calque des objets les plus repoussans ; poétique étrange qui érigerait en grand artiste quiconque transcrirait les dialogues et les scènes qu’on peut recueillir dans les halles, dans les cabarets et dans d’autres lieux. M. de Balzac semble mettre aujourd’hui son ambition à se prodiguer, à placer sa prose dans les camps divers du centre gauche, des conservateurs et du parti légitimiste. Nous croyons que M. de Balzac eût mieux travaillé à la solidité de sa réputation, s’il eût rassemblé toutes ses forces pour nous montrer dans une œuvre considérable un talent plus délicat et plus élevé. Il n’a plus à nous prouver sa fécondité, dont les témoignages abondent ; pour lui, le progrès ne peut plus être dans le nombre des productions, mais dans leur qualité.

Au surplus, tel qu’il est aujourd’hui, tel que nous avons essayé de le caractériser, M. de Balzac occupe une notable place dans la littérature contemporaine, Nous trouvons et on cherchera long-temps dans ses romans