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les diverses parties de l’infini formant une mélodie vivante. La lumière enfantait la mélodie, la mélodie enfantait la lumière. Les couleurs étaient lumière et mélodie, le mouvement était un nombre doué de la parole. Pourquoi donc M. de Balzac se drape-t-il ainsi dans des lambeaux de l’illuminisme de Swedenhorg ? Pour donner une sorte de vêtement poétique et de costume religieux à une doctrine qui lui est chère et qu’il a résumée ainsi : une seule substance et le mouvement ; une seule plante, un seul animal, mais des rapports continus. En d’autres termes, la pensée est un fluide et il n’y a qu’un animal ; telles sont les opinions de M. de Balzac sur la nature des choses. Il ne pouvait se dissimuler que ces opinions n’étaient pas sans ressemblance tant avec le matérialisme qu’avec le panthéisme, et cependant il a la prétention d’être chrétien. N’a-t-il pas déclaré qu’il écrivait à la lueur de deux vérités éternelles la religion et la monarchie ? C’est alors qu’il a imaginé un compromis entre les naturalistes et les mystiques, entre l’esprit de Buffon et l’esprit de Saint-Martin. S’il a pensé que par là il se montrerait original, la méprise ne laisse pas que d’être lourde. Au moment où il croyait s’ouvrir une route nouvelle, il retombait, sans le soupçonner, dans la vieille théosophie du moyen-âge, qui mêlait la physique et la chimie à des doctrines mystiques s’appuyant sur la révélation, et qui expirait quand Descartes parut. Ce n’était pas en vérité la peine, au XIXe siècle, de se faire rose-croix.

Quel est enfin le jugement philosophique de M. de Balzac sur la nature de l’homme ? Il l’a rédigé lui-même en ces termes : « L’homme n’est ni bon, ni méchant, il naît avec des instincts et des aptitudes ; la société, loin de le dépraver, comme l’a prétendu Rousseau, le perfectionne, le rend meilleur, mais l’intérêt développe aussi ses penchans mauvais. Le christianisme, et surtout le catholicisme, étant un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme, est le plus grand élément d’ordre social. » Il est difficile de mettre d’accord avec elles-mêmes les différentes parties de cet arrêt rendu sur la nature humaine. M. de Balzac, après avoir affirmé que l’homme n’est ni bon, ni méchant, nous dit qu’au milieu de la société l’intérêt développe des penchans mauvais, et c’est parce qu’il réprime ses tendances dépravées que le christianisme est à ses yeux le premier des principes conservateurs. Mais cette dépravation de la nature humaine, d’où vient-elle ? Le christianisme professe qu’elle est originelle : il n’établit pas, comme M. de Balzac, que l’homme n’est ni bon, ni méchant ; il enseigne que l’homme est à la fois l’un et l’autre, et qu’il vient au monde avec le principe du mal dans son cœur, principe qui ne peut être vaincu que par la grace divine. M. de Balzac ne s’est pas aperçu que, tout en ayant l’intention de rendre un éclatant hommage au christianisme, il en niait