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Il est des génies heureux chez lesquels l’harmonie de l’expression et de l’idée ne se fait pas trop attendre : après quelque temps, elle jaillit complète et brillante. D’autres imaginations, au contraire, ne doivent qu’au plus rude labeur l’enfantement de ce qu’elles ont conçu, et encore dans ce qu’elles produisent, l’harmonie dont nous parlons est trop souvent troublée. C’est parmi ces esprits dont les fruits sont lents à mûrir, et ne sont pas toujours savoureux et beaux, qu’il faut placer l’organisation de M. de Balzac. Que de peine il se donne pour écrire ! Que de tâtonnemens pour trouver le style convenable au sujet choisi ! Puis, chemin faisant, que de déviations, quelle bigarrure, quelle confusion de couleurs et de tons ! Quand on parcourt les salles d’un vaste magasin de curiosités, on est en face d’un chaos où se trouvent les débris de toutes les civilisations. M. de Balzac a peint lui-même, dans la Peau de chagrin, l’étrange impression que produit sur l’esprit un pareil mélange : son style ne donne-t-il pas souvent au lecteur des sentimens du même genre ? On voit qu’il est difficile à caractériser d’un mot. Nous désespérions d’y réussir, quand ces jours passés nos yeux sont tombés sur cette phrase dans la seconde partie des Parens pauvres que publie en ce moment M. de Balzac. Il est question du Cousin Pons, qui a la passion des curiosités, et l’auteur en parle ainsi : « Il était sans célébrité dans la bricabraquologie, car il ne hantait pas les ventes, il ne se montrait pas chez les illustres marchands. » Le mot était trouvé : il était créé par l’auteur même dont nous cherchions à qualifier le style. Qu’il nous soit permis de nous en emparer, pour peindre d’un seul trait ce que nous a souvent fait éprouver la phraséologie, ou plutôt la bricabraquologie de M. de Balzac. Mais n’y a-t-il pas chez le même écrivain des pages vigoureuses et belles, des développemens éloquens, des aperçus de la plus heureuse finesse, des cris, des mouvemens de l’ame pathétiques et vrais ? Sans doute, et ces incontestables beautés rendent plus vif encore le déplaisir que cause l’impuissance de l’auteur à les dégager d’un impur alliage. Cette impuissance au milieu de la force est, nous l’avons dit, un des principaux caractères du talent de M. de Balzac. Aussi, à part un très petit nombre de compositions presque irréprochables, il n’aboutit qu’à des œuvres mélangées, inégales, où ce qui est beau et bon est gâté, terni par d’insignes outrages aux lois de l’art et du goût,

Nous arrivons ici à des prétentions et à des idées qui nous expliqueront pourquoi M. de Balzac n’a jamais pu parvenir à être vraiment le maître de sa plume et de son talent. Ces prétentions et ces idées nous emportent bien loin de la sphère du roman et du conte. Qu’on dise de M. de Balzac qu’en dépit de tous ses défauts il est un romancier d’un très haut mérite, et qu’il a su se placer au premier rang des conteurs