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c’est de choisir ; ils entassent, ils accumulent les faits et les détails, sans préférence, sans discernement. Ils s’imaginent, avec cette prodigalité produire sur les esprits une impression forte, et donner de leur puissance une grande idée. Le plus souvent ils impatientent et lassent le lecteur. L’attention, surtout celle qu’on accorde aux accessoires d’un tableau a ses limites : elle s’émousse, elle languit, si on lui offre d’interminables descriptions, qui retardent ou interrompent les développemens d’un drame promis ou commencé. Parfois aussi la description est le refuge de l’auteur aux abois qui ne sait plus où conduire ses héros, parce qu’il s’est égaré dans le labyrinthe dont il a lui-même étourdiment multiplié les replis. Le lecteur s’aperçoit de l’expédient, et,

S’il saute vingt feuillets pour en trouver la fin,


si, par un dernier mouvement de curiosité, il cherche le dénoûment, il arrive au terme avec une dédaigneuse pitié pour l’imprudent qui a si mai mesuré la carrière qu’il devait fournir. Les véritables artistes, poètes et prosateurs, peignent à grands traits plutôt que longuement ; ils ne demandent pas la magie des effets à l’accumulation, à la prolixité, mais à la précision et à une sobriété qui, loin d’exclure la force, l’augmente en la ménageant.

Nous regrettons d’autant plus que M. de Balzac ne soit pas assez frappé des avantages de cette judicieuse réserve, que son talent descriptif est vraiment supérieur. Il y a dans ses romans des intérieurs de famille, des types, des caractères auxquels il a su donner un relief tout-à-fait saisissant. On a comparé ces vives peintures aux toiles de maîtres célèbres, et, à propos de M. de Balzac, on a prononcé les noms de Gérard Dow, de Teniers, de Miéris, de Rembrandt. La comparaison n’est pas sans justesse ; seulement il eût fallu ajouter que la plume de M. de Balzac n’avait pas la discrétion du pinceau des Flamands. Ces derniers savaient s’arrêter au moment où ils eussent gâté leur ouvrage en s’y acharnant encore. Le romancier n’est pas toujours capable de cette modération. Souvent à de vives couleurs il en ajoute de criantes : là où un dessin ferme et simple eût été d’un grand effet il met des enluminures d’un ton faux. Quand la peinture concise et nette d’un lieu ou d’un personnage eût mis le comble à l’émotion du lecteur, il l’accable et le déroute par des développemens descriptifs sans proportions et sans mesure. Voici d’autres fautes non moins contraires à la rapide gradation du récit. M. de Balzac a pensé, non sans raison, que la connaissance des faits et des détails inhérens à certaines professions, l’étude de particularités curieuses, l’emploi du langage technique dans quelques occasions, pourraient donner à plusieurs