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est si reconnu, qu’ils n’ont jamais été accusés, même par la haine la plus ardente, de faire parade d’une fausse bravoure ; mais ils aiment à produire l’étonnement autour d’eux en affichant leurs idées, leurs goûts, leurs sentimens, et ils les exagèrent pour accroître l’admiration. Cette expansion de la vanité se fit voir dans nos mœurs dès qu’elles commencèrent à se polir. Quand, au XVIe siècle, la noblesse quitta ses terres et ses châteaux, où elle ne partageait plus les droits de l’autorité souveraine, pour être assidue auprès du roi, elle donna un aspect nouveau à la société française. Au lieu de rester éparpillée sur mille points du territoire, la fine fleur du royaume se trouva réunie à Paris, à Fontainebleau. Les femmes furent associées à cette vie jusqu’alors inconnue et elles en devinrent un des principaux attraits. Que de plaisirs piquans ! quelle explosion de sensations nouvelles ! Pour apaiser la fougue qui les dévorait, les jeunes gens cherchaient à s’étourdir dans le bruit, dans la licence, dans les duels, dans les tournois. Les femmes partagèrent cet enivrement de l’imagination, des sens, de la vanité : elles furent audacieuses dans la galanterie. Nous retrouvons, sous d’autres formes, les mêmes passions à l’époque de la fronde, qui a ses importans et ses duchesses. Dans cet héritage, Louis XIV mit l’ordre en le modifiant : il anéantit les derniers restes d’indépendance que gardait la noblesse, proscrivit le duel, et autorisa plus que jamais la galanterie, jusqu’au moment où, par son mariage avec Mme de Maintenon, il donna comme le signal de la pénitence. Durant la vieillesse du roi, dans une nuit de Noël, à Versailles, le duc d’Orléans, assistant à matines et aux trois messes de minuit, surprit la cour par sa continuelle application à lire dans le volume qu’il avait apporté, et qui parut un livre de prières. Aux complimens que le lendemain il reçut à ce sujet, le prince répondit : « Savez-vous donc ce que je lisais ? C’était Rabelais que j’avais porté de peur de m’ennuyer. » On peut juger de l’effet de cette réponse, dit Saint-Simon, et il ajoute : « La chose n’était que trop vraie, et c’était pure fanfaronnade. » Louis XIV, on s’en souvient, appelait son neveu un fanfaron de crimes. Par quel entraînement bizarre un prince aimable et brillant, brave comme Henri IV, remarquable par son esprit dans une cour spirituelle, employait-il les dons heureux que lui avait prodigués la nature à se faire une détestable renommée ? Il était poussé par une irrésistible envie de secouer le joug qui pesait sur toutes les têtes ; en cela, il était le représentant aventureux et privilégié de tous ceux que fatiguait non pas la religion, mais la bigoterie, de tous ceux qu’opprimait l’agonie tyrannique d’un règne dont la longueur ternissait la gloire. La fanfaronnade du prince qui plus tard gouverna la France n’était pas tant l’effet d’un caprice individuel que la pétulante expression des sentimens répandus et comprimés dans beaucoup d’ames. On se sentait vivement froissé, mais on n’osait rien ; le jeune Arouet était