Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’usage semblât l’autoriser ; fonds secrets de la diplomatie, d’autant plus efficaces qu’ils étaient en quelque sorte inépuisables, et qu’on pouvait alors les employer sans rendre de comptes à personne !

Le zèle et la capacité de M. de Feuquières se révèlent par les succès qu’il obtient ; seulement on pourrait trouver qu’il pense un peu trop à ses intérêts, qu’il gémit bien souvent sur sa dépense, sollicitant sans cesse argent et faveurs ; mais on ne verra rien là que de simple et naturel, si l’on considère la position vraiment difficile des hommes sur lesquels pouvaient tomber les regards du maître. Louis XIV était grand et magnifique. On lui plaisait non-seulement par la bravoure et le mérite, mais encore par l’éclat du luxe et l’exagération de la dépense. La noblesse se ruinait pour lui, puis, après s’être ruinée, il fallait bien qu’elle tendît la main, et le roi oubliait rarement ceux qui lui avaient fait honneur au prix de leur fortune. Ce luxe commandé, ces prodigalités aveugles, mettaient ainsi à la discrétion du monarque cette noblesse jadis si fière, qui ne produisit plus bientôt que des courtisans incapables, rejetons abâtardis du vieil arbre de la féodalité.

M. de Feuquières ne recevait pas seulement des lettres diplomatiques. Sa nombreuse famille l’entretenait plus souvent confidentiellement, bien qu’avec une prudente réserve. Ainsi on rencontre, dans le recueil, des lettres de Mme de Pomponne, cette femme d’un sens si droit et d’un si bon conseil, de Mme de Saint-Chamond et de l’abbesse de Saint-Ausony, sœurs du maréchal de Gramont, qui écrivaient comme les grandes dames du temps, de l’abbé Arnauld et de l’abbé de Feuquières, plus amis des camps que du cloître, de M. de Rébenac, ce fils de M. de Feuquières, qui débutait tout jeune par une importante mission diplomatique, et justifiait si bien l’opinion, fort paradoxale sans doute, qu’il aimait à soutenir, qu’il faut d’abord obtenir des faveurs, puis les mériter. Nous ne pouvons non plus oublier son frère aîné, Antoine de Pas, qui avait « un coin d’Arnaud dans la tête, » comme disait Mme de Sévigné, jeune homme au jugement ferme et solide, à l’esprit distingué, qui plus tard écrivit les Mémoires et Maximes militaires, après avoir encouru la disgrace de Louis XIV parce qu’il ne savait pas être courtisan.

Dans ces lettres, d’ailleurs, les figures historiques vous apparaissent à chaque pas. Ici, c’est Turenne, que ses contemporains appelaient déjà un grand homme, avant qu’un boulet allemand l’eût enlevé à son armée et à la France ; là, le maréchal de Luxembourg et le grand Condé ; plus loin Mme de Montespan, qui jouait au lansquenet 150,000 pistoles d’un seul coup, et perdait 700,000 écus une nuit de Noël. Vous trouvez aussi de curieux détails sur la Suède, sur son jeune roi, Charles XI et ses ministre, sur ce peuple de Stockholm, que les sorciers effrayaient à tel point qu’il fallait mettre dix mille hommes sous les armes pour rassurer les esprits, sur les Turcs, « si sauvages et si peu polis, chez qui la bastonnade était si fort en vogue qu’il y avait peu d’agrément à les visiter. » Pauvres Turcs, aujourd’hui si débonnaires ! Mais c’est principalement sur les travaux diplomatiques que les détails abondent. Aussi ne doutons-nous pas que, même en dehors du public spécialement voué aux études historiques, une attention sérieuse et empressée n’accueille une correspondance d’où peuvent jaillir quelques lumières sur une des plus glorieuses époques de nos annales. M. Gallois a d’ailleurs rempli sa tache d’éditeur avec un zèle intelligent. Des notices intéressantes