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a ses prétentions, ses idées, son plan, son système ; il se drape pour jouer son rôle, et ses relations ne peuvent être accueillies qu’avec beaucoup de discernement. Les lettres ont sur les mémoires l’avantage de reproduire les faits au moment même où ils se passent. Elles donnent, avec moins d’apprêt et de déguisement, la pensée, la physionomie d’une époque. Elles nous font pénétrer dans le secret des événemens et dans l’intimité des personnages historiques. Il y a ainsi dans certaines correspondances non moins de charme que d’utilité, et tel est le double mérite qu’on retrouve dans l’intéressante publication des Lettres inédites des Feuquières. C’est dans les papiers de famille de Mme la duchesse Decazes, précieuses archives domestiques libéralement mises à sa disposition, que M. Étienne Gallois a puisé ces documens nouveaux sur quelques-uns des grands événemens et des hommes éminens du XVIIe siècle.

Une partie du premier volume nous ramène au règne de Louis XIII, et comprend la correspondance du marquis Manassès de Feuquières. Lieutenant-général des armées du roi, chargé d’importantes missions diplomatiques, M. Manassès de Feuquières se trouvait en relations directes avec le cardinal de Richelieu et son confident le père Joseph. Il était allié, par sa femme, à la famille des Arnauld, et correspondait avec les personnages les plus considérables du temps. Cependant les lettres de cette partie du recueil n’offrent pas tout l’intérêt qu’on en attend. On sent que les circonstances commandent la plus grande réserve. L’œil de Richelieu est partout, et les courriers sont peu sûrs ; c’est à peine si on ose prononcer le nom de l’infortuné curé de Loudun, ou parler des intrigues de la cour. Comme tout le monde alors, le marquis Manassès vivait dans la crainte du terrible cardinal. Il travaillait aussi en bon père de famille à l’avancement des siens, et préparait l’avenir de ses fils, en leur faisant abandonner la religion protestante, dans laquelle ils avaient été élevés par leur mère, appelant les hésitations du comte de Pas, l’un d’eux, à changer de religion, au moment où il entrait dans la carrière des armes, des timidités et puérilités d’un enfant de huit ans. Militaire brave et dévoué d’ailleurs, le marquis de Feuquières mourut des suites, d’une blessure qu’il avait reçue en défendant, avec un courage malheureux, la place de Thionville, attaquée par Piccolomini, et il montra dans ses derniers momens une fermeté admirable.

A la correspondance de Manassès succède celle d’Isaac de Feuquières, son fils aîné. Celui-ci avait déjà servi avec distinction dans les armées lorsqu’il fut envoyé à Stockholm, en qualité d’ambassadeur, chargé de ranimer l’amitié, fort refroidie, de la Suède, et de l’engager à seconder les efforts de Louis XIV par une puissante diversion en Allemagne. Le marquis Isaac de Feuquières mourut en 1688, et sa correspondance ne comprend par conséquent que la grande et belle moitié du règne de Louis XIV. Elle se rapporte presque entièrement au temps où M. de Feuquières était ambassadeur. On ne peut qu’admirer, en lisant les lettres du marquis Isaac de Feuquières, cette prodigieuse activité diplomatique qu’entretenait si soigneusement le grand roi, ces rapports si multipliés, ce réseau si serré d’habiles négociateurs dont les notes arrivaient sans cesse et sans relâche à la cour, pour passer sous les yeux du prince, qui voulait tout lire, tout connaître, ne se plaignant ni de la prolixité, ni des détails. Il est vrai que Louis XIV venait souvent en aide à l’habileté du négociateur, en laissant voir en perspective aux ministres étrangers de magnifiques présens ; triste moyen, sans doute, bien