Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessairement M. Guizot à la tribune. M. le ministre des affaires étrangères n’a pas été moins net sur le fond même du problème électoral que sur l’opportunité de la motion de M. Duvergier. Aux yeux de M. Guizot, la législation en vigueur a fait deux choses excellentes : elle a mis le droit électoral non plus dans le nombre, comme les lois révolutionnaires, mais dans la capacité politique, représentée par une certaine situation due à la propriété ou à la richesse industrielle ; puis elle a accepté les groupes naturels d’électeurs, tels que les donnent, soit les circonscriptions territoriales, soit les affinités d’intérêts. Par cela seul que la proposition tend à miner et à détruire ces deux principes, elle est dangereuse aux yeux de M. Guizot, et, en la repoussant, il croit entendre sainement le progrès. Le rôle du gouvernement n’est pas de prendre l’initiative de projets à peine mûris, d’idées pour lesquelles les masses n’ont que de l’indifférence ; son devoir est d’attendre, pour agir, que la nécessité d’une réforme ait pénétré dans les esprits. Ici M. Guizot a demandé, comme M. Duchâtel, si le pays s’était agité pour la réforme électorale. Or, comment méconnaître que la proposition de M. Duvergier n’a que médiocrement ému le pays ? On répond que dans l’avenir il n’en sera pas ainsi ; c’est possible, mais la politique vit surtout d’opportunité.

M. le ministre des affaires étrangères ne pouvait parler du progrès à la tribune sans s’occuper des conservateurs progressistes : il avait vraiment qualité pour s’adresser à eux au nom de l’ancienne majorité. Il leur a montré où ils tendaient sans peut-être le vouloir ; il les a avertis qu’ils arriveraient à former une sorte de tiers-parti au milieu des deux grands courans d’opinions qui se partagent la chambre. Je ne leur en donnerais pas le conseil, a-t-il ajouté. D’ailleurs, est-il bien de l’intérêt des conservateurs qui s’appellent progressistes de se presser d’agir ? Pourquoi prendraient-ils une résolution tranchée dès le début de la législature, avant de connaître leurs collègues, le gouvernement, et peut-être avant de se bien connaître eux-mêmes ? Le plus sage pour eux serait d’attendre. Alors, avec le temps, ceux qui seront convaincus que la majorité n’est pas moins animée d’un esprit de sage progrès que de l’esprit conservateur marcheront avec elle, ceux qui auraient acquis une conviction différente passeront dans les rangs de l’opposition. Quant au gouvernement, il préfère maintenir sa politique avec une majorité moins forte, que de l’affaiblir pour conserver une majorité plus nombreuse.

Après le discours de M. Guizot, il y eut un véritable sauve qui peut parmi les conservateurs progressistes. Déjà M. Blanqui, montant à la tribune après M. Duchâtel, avait singulièrement faibli : il s’était même retourné contre l’opposition pour lui dire ses vérités, afin de bien prouver aux anciens conservateurs et au cabinet qu’il n’entendait pas les quitter. Quand M. Guizot eut parlé, ce fut le tour de M. de Castellane de protester qu’il était décidé à rester dans les rangs de la majorité. M. de Castellane, auquel nous croyons un avenir parlementaire, l’assurera d’autant mieux qu’il mettra son talent au service du parti conservateur sans préoccupations personnelles. Déjà la chambre, pressée de clore le débat, avait manifesté quelques signes d’impatience ; mais elle éclata en rires et en murmures, quand elle vit M. Clapier de Marseille se précipiter à la tribune, pour éclaircir ce qu’il appelait sa situation. Combien y a-t-il de personnes dans la chambre qui politiquement aient une situation, et auxquelles il soit permis d’en parler ? C’est une question que, dans son ingénuité, ne s’était pas