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Le cachot, noir sillon où, dans l’ombre jeté,
A germé si souvent le grain de vérité.
Et, tandis que le saint sur la pierre connue
Prie à genoux, là-haut la fête continue,
Ce festin éternel du riche et du puissant,
Dont l’insolente odeur jusqu’au pauvre descend ;
La salle en est de fleurs et de chants inondée,
Mais sur une prison elle est toujours fondée.


IV.


Une plus large coupe et des vins plus ardens,
Aux trépieds ravivés les parfums abondans,
Les chants, les cris, l’éclat des trompettes de cuivre,
La nuit changée en jour dont la vapeur enivre,
Les bruits tourbillonnans, dans l’ame de chacun,
Ont fait taire l’écho du prophète importun.
Enfin, pour mieux chasser les visions moroses,
Au front des conviés renouvelant les roses,
La danse aux pieds lascifs vient leur sourire, et mieux
Que l’ivresse du vin elle éblouit leurs yeux.

Cent beautés, par l’eunuque habilement choisies
Pour réjouir des yeux les folles fantaisies,
Esclaves de l’Euxin plus blanches que le lait,
Noires filles d’Afrique et Grecques de Milet,
S’élancent par essaim, par couple ou dispersées,
Ou formant des réseaux de leurs mains enlacées.
Blanche aux yeux d’escarboucle et presque enfant encor,
Leur belle coryphée aux épais cheveux d’or,
Fille d’Hérodiade et par sa mère instruite,
Mais insensible encore aux transports qu’elle imite,
Salomé vient offrir, en effleurant le sol,
Les charmes de sa danse ou plutôt de son vol.
C’est d’abord, vive et gaie, un oiseau sur les branches ;
Bientôt un lent frisson fait onduler ses hanches,
Et son corps de serpent s’agitant par degré
Se déploie ou se tord sous l’aiguillon sacré ;
Ses bras s’ouvrent, son dos se renverse et se cambre
La fièvre de ses yeux frémit dans chaque membre ;
Elle bondit, tournoie, et sa prunelle en feux
D’un éclair circulaire entoure ses cheveux ;