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Se dresse, et rejetant son front large en arrière :
« Fils d’Israël, dit-il, ô peuple sans pitié,
Par le joug des gentils justement châtié !
Aux pauvres voilà donc l’aumône que vous faites ?
Durs, moqueurs, insolens pour vos frères, vous êtes
Toujours prêts à ramper dans l’adoration,
Quand passent le licteur et le centurion.
Bien dignes de servir, de trembler sous un homme,
De marcher enchaînés vers Babylone ou Rome,
Vous qui ne servez plus le Seigneur et riez
Des captifs qu’à son joug la misère a liés !
Les chiens des carrefours, les brutes vous enseignent
Vainement la pitié : sur ces membres qui saignent,
Caressans au lépreux, ils lèchent ; vous mordez ;
Vous bafouez encor ceux que vous lapidez… »

Il parle, et tout à coup une voix : « C’est lui-même,
Criait-elle, c’est Jean qui donne le baptême. »
Et la foule, déjà frappée en l’écoutant,
Des rires au respect changée en un instant,
Se presse et fait silence, et lui reprend : « Mon frère ! »
— Vers Lazare tourné, — « loin de nous la colère ;
L’humble bonté du cœur convient aux malheureux ;
Qui pourra les aimer s’ils ne s’aiment entre eux ?
Le pauvre allégera son fardeau de misères
En marchant dans la paix et l’amour de ses frères.
Toi, Lazare, affamé, nu, maudit par les tiens,
Toi qui n’as jamais eu que la pitié des chiens,
Dont le corps et le cœur ne sont plus qu’une plaie,
Cesse un jour de haïr, sois patient ; essaie
De pardonner, d’aimer ; apprends-nous ce devoir.
Dieu compta tes douleurs, et peut-être ce soir
Des anges imprévus, te prenant sur leurs ailes,
Dans le sein d’Abraham, où dorment les fidèles,
Blanc, vêtu de fin lin, un bandeau d’or au front,
Au festin nuptial, ami, t’emporteront.
Mais l’homme de céans qui se fait rendre un culte,
Et de ses longs banquets jette à ta faim l’insulte,
Alors, étant scellé dans sa tombe de fer,
Lèvera ses yeux lourds des ombres de l’enfer, -
Et d’ Abraham, au loin, découvrant la lumière,
Et Lazare en son sein, — fera cette prière :
Abraham, oh ! pitié ! laisse approcher un peu