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Pâtres, bandits, soldats semblables aux bandits ;
Obscènes mendians aux sourires farouches ;
Publicains aux doigts noirs, au front blême, aux yeux louches,
Sur de tels compagnons encor peu rassurés ;
Et, couvertes de fard, de voiles bigarrés,
Sanglotant et joignant leurs mains de pleurs mouillées,
Maintes filles de joie, en groupe agenouillées.
Tous attentifs, les uns sur le sable couchés,
D’autres assis plus loin dans les creux des rochers,
Sous les grands aloès et sous les palmiers rares,
Cherchent l’ombre et le frais dont ces lieux sont avares ;
D’autres, pour voir le maître et l’ouïr à leur gré,
Entrent jusqu’aux genoux dans le fleuve sacré.
Tout fait silence au loin, le vent, l’eau jaune et lente,
Et des plaines de Gad l’immensité brûlante.
Seul, l’homme du désert parle à ce peuple, et dit
Ce qu’il peut répéter de ce qu’il entendit :

« Rendez droits les sentiers et préparez la voie ;
Toute chair connaîtra le salut et la joie.
Approchez ! Le Seigneur est déjà sur le seuil ;
Des superbes sommets son pied courbe l’orgueil.
Loin des molles cités que l’esclavage habite,
Venez, dans le désert, attendre sa visite ;
Venez, et, par le jeûne et les mâles travaux,
Faites-vous des cœurs neufs et des membres nouveaux.

« Pour tirer ses élus des longues servitudes
Dieu les pousse lui-même au fond des solitudes,
Il fait, pour les nourrir dans l’aride séjour,
De la manne du ciel leur pain de chaque jour.
Le désert affranchit le corps ainsi que l’ame ;
La fierté se respire avec ses vents de flamme.
Venez ! dans la prière et l’air libre des monts
Vous secouerez le joug des rois et des démons.

« Et si la solitude en votre ame agrandie
De sa soif immortelle allume l’incendie,
Le prophète apparaît qui jamais ne faillit ;
Il frappe le rocher, et l’eau vive jaillit,
Jaillit à flots pressés et coule intarissable ;
Elle creuse son lit, sur le roc, dans le sable,
Et vous y buvez tous, esclaves triomphans,