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l’argent, mais si dispendieuses à étendre sur le sol. On a évalué, par un calcul un peu forcé peut-être, que les appels de fonds des compagnies anglaises de chemins de fer représentaient actuellement un million sterling par semaine, ou un milliard 300 millions par an. Une pareille somme distraite extraordinairement du capital national y fait une saignée que le tempérament d’aucun peuple ne peut supporter.

De ces diverses causes de perturbation dans les intérêts de la Grande-Bretagne, qui toutes réagissent directement sur les autres pays, il n’y a guère que la dernière à laquelle le gouvernement puisse apporter quelque correctif. On est en effet à voter une loi qui ajourne toute entreprise nouvelle de chemins de fer, et qui doit même en supprimer quelques-unes, mais qui laissera les anciennes compagnies au milieu de leurs tribulations et leur permettra de poursuivre leurs efforts, afin d’attirer les capitaux dont le pays a besoin pour d’autres destinations. Quant au prix excessif du coton, Dieu seul, qui dispose des saisons et répand sur nos champs la pluie et les rayons du soleil, pourra y porter remède. À l’égard des subsistances, depuis un an chez nos voisins, le commerce est devenu irrévocablement libre pour la viande de toute sorte ; il doit l’être de même pour les grains à partir du mois de février 1849, et provisoirement on y a pourvu par des lois temporaires. Cependant, nous ne le voyons que trop, la liberté du commerce des subsistances n’a pas la puissance merveilleuse que ses adversaires lui attribuent. Lorsque la récolte a été mauvaise dans plusieurs pays à la fois, ou même seulement dans un grand état qui habituellement ne se suffisait pas, tout ce que peut la liberté du commerce, c’est d’empêcher la disette de dégénérer en une affreuse famine où les hommes seraient portés à s’entre-dévorer ; mais il ne lui est pas donné d’empêcher le pain d’être cher, bien cher, tant sont exigus les excédans disponibles qu’offre le marché général.

De ce point de vue, l’empire que possède la race anglo-saxonne dans notre hémisphère mérite de fixer l’attention immédiate des hommes sérieux, ainsi que leurs pensées d’avenir. Ce que font les États-Unis, puissans rejetons de cette même souche de l’autre côté de l’Océan, est un sujet qui n’appelle pas moins les méditations, à petite ou à longue distance.

Le spectacle que nous offre l’Amérique du Nord n’est rien moins que le nouveau continent tout entier apprenant à reconnaître ses maures dans la confédération anglo-américaine, et la belle et simple constitution de 1789 recevant, après un demi-siècle seulement d’existence, une atteinte sous laquelle il est difficile qu’elle ne succombe pas un peu plus tard. Le Mexique, de ce jour, peut être considéré comme appartenant aux États-Unis. Le cabinet de Washington aura probablement le bon esprit de ne pas se l’annexer en entier pour le moment. Il n’en prendra que les lambeaux qui sont le plus à sa convenance, des lambeaux cependant vastes comme la France d’outre-Loire par exemple ; mais ce que les États-Unis en laisseront, quelque immense que ce soit, ne sera plus qu’un fief dépendant d’eux, qu’ils absorberont à leurs heures. Quand on possède la Californie et l’Orégon, l’on a besoin d’un passage dans l’isthme de Panama, et, quand on est le plus fort, de tous les passages on choisit le plus commode. On peut donc envisager les États-Unis comme étant virtuellement au moins les propriétaires du massif de l’Amérique du Nord jusqu’au lac de Nicaragua dans l’Amérique centrale, ou jusqu’à la ville de Panama. C’est la conséquence forcée