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binet sur ce point à M. Piscatory, et M. de Kisseleff paraît avoir ici tenu le même langage. Il serait à désirer que dans l’affaire de M. Mussurus la Russie témoignât des dispositions aussi favorables au gouvernement grec. Peut-être M. Coletti n’a-t-il pas pris tous les soins nécessaires pour que M. Persiani ait pu faire connaître à fond à M. de Nesselrode toutes les circonstances de ce grave incident. M. Piscatory n’a rien négligé pour déterminer le représentant de la Russie à travailler avec franchise à la réconciliation des deux gouvernemens d’Athènes et de Constantinople. On sait que la médiation de M. de Metternich a été acceptée avec empressement par la Grèce, et, de son côté, M. de Nesselrode a bien accueilli cette entremise de la cour d’Autriche. Qu’obtiendra M. de Metternich ? On assure que la Porte persiste à vouloir renvoyer à Athènes M. Mussuros, en faisant entendre qu’elle ne l’y laisserait pas long-temps, et qu’une fois satisfaite sur ce point, elle lui donnerait bientôt un successeur. Il s’agit maintenant de persuader au gouvernement turc de rabattre quelque chose de ces prétentions hautaines, qui sont de nature à blesser vivement le roi et la reine de Grèce. En attendant, M. Coletti a du moins la satisfaction de voir la nation répondre à son appel ; tout lui annonce un succès complet dans les élections. L’opposition reconnaît trop tard que les instigations de sir Edm. Lyons lui ont fait faire fausse route ; elle s’est compromise dans la question de l’emprunt, et aucune des promesses du représentant de l’Angleterre ne s’est réalisée. Il paraît que, pour se justifier auprès des membres de l’opposition grecque, sir Edm. Lyons accuse à son tour lord Palmerston.

En ce moment, la race anglo-saxonne se trouve exercer dans l’un et l’autre hémisphère une pression particulièrement intense sur le monde des affaires ou sur celui de la politique. Sur notre vieux continent, c’est l’Angleterre qui, par sa condition matérielle dans le sens le plus strict du mot, tient les intérêts en suspens. Dans le Nouveau-Monde, c’est la république fédérative, sortie il y a soixante-dix ans des flancs de l’Angleterre, qui paraît à la veille de changer la balance des pouvoirs dans l’univers, et non moins proche du jour où sa constitution et ses mœurs politiques subiront une transformation destinée à devenir de plus en plus complète.

L’Angleterre est arrivée à cet état où la population est si dense, qu’il serait chimérique de demander au sol de la patrie qu’il nourrit ses habitans. La liberté du commerce des subsistances, qui nulle part ne serait un mal, est pour elle une nécessité. Désormais on doit considérer le royaume-uni comme une sorte de gouffre où ira s’engloutir, dans les années même où la récolte s’y présentera bien, à peu près tout ce que les pays producteurs de blé peuvent présentement livrer. De ce jour, l’Angleterre agit comme une puissante machine d’épuisement sur le marché général des subsistances : elle doit y maintenir les prix à un niveau plus ou moins élevé, et cela abstraction faite de toute disette ; mais, si la disette survenait, ce n’est plus un simple enchérissement qu’éprouveraient les grains sur le marché général ; ce serait une de ces hausses extrêmes qui réagissent aussitôt sur le travail manufacturier pour le limiter. Ce serait une épreuve cruelle, semblable à celle que nous avons subie cette année. On se demande donc avec anxiété partout si l’Angleterre est menacée d’être frappée encore dans sa récolte. Cette question se confond pour le moment avec celle de savoir si les pommes de terre manqueront ou non cette année ; car c’est sur la pomme de