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adversaire est M. Cousin, qui n’a jamais été plus fécond, plus mordant, plus ingénieux que dans le débat ouvert en ce moment devant la pairie. Il y a dans la parole de M. Cousin une verve comique qui donne une physionomie tout-à-fait piquante aux considérations élevées présentées par l’orateur. Ici l’effet a été d’autant plus grand qu’il y avait plus de contraste entre sa manière et celle de M. de Salvandy. La parole de M. Cousin est vive, parfois familière ; le ton de M. le ministre de l’instruction publique est toujours un peu solennel, même quand il devient chaleureux ; il était difficile à deux orateurs aussi différens de se joindre, de se saisir, de se réfuter directement, et M. Cousin a pu dire avec raison, en faisant sourire la chambre, qu’ils avaient joué tous les deux au propos interrompu. Au surplus, tout le monde au Luxembourg a rendu justice à la conviction avec laquelle M. le ministre de l’instruction publique a défendu son projet, et qui l’a plus d’une fois heureusement inspiré. Après une discussion fort animée, M. de Salvandy a eu les honneurs de la victoire sur l’article Ier, qui contient le principe fondamental de la loi. La chambre n’est pas au bout de ses labeurs. Le projet contient quarante articles. Plusieurs questions, entre autres celles des médecins cantonaux, seront l’objet de sérieux débats.

La chambre des députés a fait trêve un moment à l’examen des affaires intérieures pour s’occuper de politique étrangère, de l’intervention en Portugal. Nous n’avons aucun goût, nous l’avouerons, pour reprendre l’examen rétrospectif de tout ce qui a été dit, depuis bientôt dix-sept ans, pour et contre l’intervention ; nous ne voulons pas non plus méconnaître tout ce que l’insurrection qui, depuis plus d’une année, agite le Portugal a de sérieux. Il est vrai que le peuple et une partie de l’aristocratie sont avec les insurgés ; il est vrai encore que les exactions du ministère portugais, les désordres commis par les troupes royales, la conduite peu courageuse du roi, que tout s’est réuni pour mettre en péril le trône de la reine dona Maria. Maîtres de tout le pays, sauf Lisbonne, maîtres de l’esprit des habitans, les insurgés, s’ils n’eussent pas craint les vaisseaux de l’Angleterre, eussent, à l’aide des bateaux à vapeur dont ils disposent, transporté des troupes de Porto à Cascaës, et, par un coup décisif, ils eussent pu tout terminer. Maintenant faut-il déplorer, dans l’intérêt même de la liberté en Portugal, que l’insurrection n’ait pu pousser ses avantages jusqu’au bout et n’ait pas détrôné la reine dona Maria ? Si l’insurrection a été obligée de s’arrêter devant l’intervention de l’Angleterre, de l’Espagne et de la France, ces trois puissances ont imposé en faveur des insurgés au gouvernement de la reine dona Maria des conditions que déjà nous avons fait connaître, et qui sont désormais placées sous leur triple garantie. C’est en insistant sur ce point essentiel que M. Guizot a terminé sa réponse aux interpellations de M. Crémieux. La gauche a cru trouver dans la question portugaise un thème fécond d’attaques contre le ministère. Elle a montré que le gouvernement de 1830 avait fondé dès l’origine sa politique extérieure sur le principe de non-intervention ; elle a rappelé toutes les occasions où ce principe avait été invoqué et mis en pratique. Cependant on le viole aujourd’hui en se mêlant des affaires du Portugal. À cette objection, qui, au premier abord, ne semble pas sans gravité, il y a néanmoins une réponse. En 1834, le traité de la quadruple alliance a mis sous la garantie spéciale de la France et de l’Angleterre les deux trônes constitutionnels d’Espagne et de Portugal. C’était une dérogation expresse au principe général de non-intervention.