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flexions, et les chambres comme le gouvernement ne sauraient rester indifférens aux sentimens divers qui ont ému l’opinion.

Il est à regretter cependant que la pairie ait compliqué une situation si difficile d’un incident déjà oublié, et qu’elle ait pu trouver une injure dans l’une de ces inculpations que les pouvoirs sont contraints chaque jour de laisser passer en silence. Nous nous étonnons qu’une assemblée aussi grave se soit laissé entraîner par les susceptibilités irréfléchies de quelques-uns de ses membres. On peut pressentir les difficultés de ce procès, mais il est impossible d’en entrevoir les avantages. C’était assez, ce semble, pour s’abstenir. Quoi qu’il en soit, la question est posée ; elle sera résolue devant la cour des pairs avec plus de réflexion et de maturité qu’elle n’a été soulevée, et l’on peut compter sur sa justice, lors même qu’elle aurait fait douter un jour de sa prudence. Quant à la chambre élective, sa position est des plus simples : elle n’a ni à juger ni même à mettre en prévention l’un de ses membres ; elle n’a qu’à autoriser un autre pouvoir à exercer dans son indépendance la part de juridiction que la charte lui confère. Que la chambre refuse l’autorisation lorsque le délit n’existe pas matériellement, comme dans l’affaire de M. de Cormenin, on le conçoit très bien ; on concevrait moins facilement qu’elle revendiquât le droit de juger en première instance, et de préjuger la question de savoir si c’est à tort ou à raison que la pairie s’est tenue pour offensée.

Retrouverons-nous donc partout les préoccupations personnelles en lutte avec l’intérêt public ? C’est avec un vif regret que nous avons vu M. le maréchal Bugeaud quitter brusquement le gouvernement général de l’Algérie. Le maréchal a trop facilement cédé à l’impatience que lui fait éprouver l’opposition que ses vues rencontrent dans la chambre des députés. Pourquoi n’est-il pas venu lui-même, cette année, au sein du parlement, exposer ses plans, défendre ses idées ? Quand même il ne fût pas parvenu à convaincre la chambre que sur tous les points son coup d’œil était juste et ses opinions les meilleures, il eût mieux servi sa renommée en les soutenant à la tribune qu’en laissant percer sa mauvaise humeur dans les proclamations par lesquelles il a fait ses adieux à l’armée et à la colonie. C’est parce que nous avons pour la capacité du maréchal, pour son énergie, une estime dont l’expression a été souvent consignée dans ces pages, que nous nous croyons le droit de ne pas dissimuler nos regrets sur l’attitude que tout récemment il a prise. M. le maréchal Bugeaud doit connaître à fond les sentimens de la chambre : il sait qu’elle est unanime pour désirer sincèrement la prospérité de l’Algérie, et que, si deux ou trois opposans incorrigibles répètent chaque année, non pas qu’il faut détruire Carthage, mais qu’il faut évacuer l’Afrique, ces voix solitaires ne sont pas écoutées. La chambre avait composé, cette année, la commission des crédits extraordinaires d’Afrique de dix-huit membres au lieu de neuf. Cette commission s’est livrée à des recherches approfondies, dont les résultats ont été exposés d’une manière remarquable par M. de Tocqueville. Elle s’est précisément autorisée de la soumission de la plus grande partie du pays et de la paix qui succède à une guerre habilement conduite, pour penser que cet état nouveau de l’Algérie appelle des résolutions nouvelles. Comme l’a fort bien dit M. de Tocqueville, nous avons vaincu les Arabes avant de les connaître ; aujourd’hui la société indigène n’a plus de secrets pour nous. On peut donc maintenant rechercher quelles sont les limites naturelles de notre domi-