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du pays. C’est déjà là une cause notable d’affaiblissement ; en voici une autre. Il semblerait que l’ambition politique ne doit surgir et croître qu’en proportion des services rendus. Jusqu’ici du moins, les prétentions aux premiers postes ne s’avouaient qu’après un long noviciat et de notables travaux dans le parlement. Nos jeunes hommes politiques ont changé tout cela, et ils ne veulent entrer, même pour la première fois, en campagne qu’en qualité de généraux. Les fantaisies, les amours-propres, ont pris la place des grandes ambitions. Les conséquences ne se sont pas fait attendre. On s’est séparé de son parti ; on ne s’est pas borné à critiquer ses chefs, on a tiré sur eux. La confusion et la défiance ont gagné les rangs de la majorité. Le ministère, se voyant combattu non plus seulement par ses adversaires naturels, mais par des ennemis intimes, par des hommes qui étaient ses alliés la veille, s’est laissé déconcerter, et son attitude a trahi son indécision. Le gouvernement en a été affaibli ; l’opposition sérieuse, celle qui peut aspirer à la direction des affaires, y a-t-elle gagné en force réelle ? S’il en était ainsi, on pourrait peut-être se consoler de toutes les misères auxquelles nous assistons. Malheureusement il n’y a guère en tout ceci que des satisfactions de vanité pour des hommes en seconde ligne, qui se sont tout à coup emparés du premier plan. Quand les hommes éminens s’isolent et se neutralisent comme à plaisir, les esprits aventureux, chez lesquels se rencontrent d’ordinaire tous les genres d’ambition, prennent une importance qui dénote suffisamment le vice d’une situation.

N’est-ce pas, en peu de mots, l’histoire des derniers mois de la session ? N’y a-t-il pas dans ces tristes symptômes des enseignemens pour tout le monde, pour le pouvoir et pour les partis ? Deux épisodes ont encore assombri la scène politique : le procès commencé par la pairie contre un de ses membres, et la demande adressée par elle à la chambre élective afin d’être autorisée à juger un délit qui aurait été commis par un député. Le procès du général Cubières était une fatale nécessité à laquelle la pairie ne pouvait se soustraire. Les faits avaient eu un retentissement trop déplorable pour que l’honneur de ce grand corps ne se trouvât pas engagé, et son devoir, comme l’intérêt général, lui commande aujourd’hui de poursuivre ses recherches et de se montrer sévère, si les délits sont constatés. Cette satisfaction sera pénible à donner sans doute, mais elle est devenue nécessaire pour calmer la conscience du pays. Au reste, à toutes les époques, sous tous les régimes, il y a eu des agens, des fonctionnaires, même des plus haut placés, qui ont oublié ce qui constitue le premier devoir de l’homme public, ce qui doit être sa religion : nous voulons parler de la probité avec toutes ses délicatesses, avec toute son austérité. Si donc il y a aujourd’hui de pareils méfaits à signaler, on ne saurait y voir les indices extraordinaires d’une corruption inouie. Seulement la publicité, les commentaires et les attaques des partis donnent à des désordres qu’ont eu à réprimer et à punir tous les gouvernemens une notoriété retentissante qui en aggrave la portée. Les partis extrêmes s’autorisent du déplorable procès dont est saisie la chambre des pairs, et de toutes les rumeurs qui s’y rattachent, pour ébranler la foi du pays dans l’honnêteté des hommes publics, dans la probité des serviteurs de l’état. Ce n’est plus l’existence, mais la considération du pouvoir qui est attaquée ; on ne lui livre plus d’assauts dans les rues, mais on le diffame, et l’émeute est remplacée par la calomnie. Ce doit être là un sujet de graves ré-