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Ou l’air, plus tempéré par l’ombre et par les eaux,
Ait l’humide douceur qu’il faut à ces roseaux.
Va-t-en vers le Jourdain, prêchant la pénitence,
La crainte, la justice : un autre qui s’avance,
D’une loi plus parfaite enseignant le devoir,
Porte un mot plus divin que tu n’as pu savoir.
Va donc, reprends le peuple, et qu’un flot pur le lave
Des taches de la chair qui le rendait esclave.
A toi de nettoyer de tout le vieux levain
Le vase qu’un plus digne emplira de son vin.
Pars, et si tu trouvais, avant d’atteindre au fleuve,
Le zèle du désert dans quelque ame encor neuve,
Mène-la plus avant dans ce pays ardu
Où ta chair s’est durcie, où tu m’as entendu.
Tout l’homme doit venir aussi près que possible
De ces lieux où ton œil voulut voir l’invisible. »


II.


Or, docile à l’Esprit, Jean se leva soudain,
Et l’ardent précurseur marcha vers le Jourdain ;
Et déjà le suivaient, dans ses sentiers austères,
Des hommes imitant ses jeûnes solitaires.
Tous dans les vives eaux, à sa voix, se plongeaient
Affranchis de la chair, et tous l’interrogeaient :

— « O maître, qu’as-tu vu, qu’as-tu fait, dis, ô maître,
Dans la contrée où nul après toi ne pénètre ? »

— « Comme vous m’écoutez, j’écoutais une voix. »

— « Qui te parlait, celui qu’aperçut autrefois
Moïse, et qui grava ses décrets sur dix tables ?
Maître, dis-nous sa forme et ses traits redoutables ?
Peut-être ce conseil qui marchait avec toi,
C’était entre tes mains le livre de la loi ;
Les aïeux, le passé dont tu faisais l’étude,
De leurs doctes leçons peuplaient ta solitude ? »

— « Mes yeux n’ont jamais lu qu’aux pages du désert,
Et son esprit au mien s’est peut-être entr’ouvert.
J’ignore des aïeux la sagesse éphémère,