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Habite ainsi le feu, pareil aux salamandres,
Disait : — « Toi que j’entends, où donc es-tu caché,
Esprit retentissant à mon ombre attaché ?
J’écoute, je te suis ; seul avec ta parole,
Sourd à toutes les voix de ma chair que j’immole,
J’ai marché bien des jours, bien des nuits, sans savoir
Où tu fais ta demeure, Esprit, et sans te voir.
Dans les buissons ardens peut-être tu te voiles ?
Incliné sur les puits où tremblent les étoiles,
Le moindre bruit de l’eau tient mon ame en suspens,
Mais au fond je n’ai vu nager que les serpens.
Dans les bois du Carmel, en écartant leurs branches,
J’ai vu des nids s’ouvrir et fuir des ailes blanches,
Et dans l’antre, devant mon œil qui te poursuit,
L’œil sanglant du lion flamboyer dans la nuit.
En tous lieux, dans la plaine ou la vallée étroite,
Dans les flots, ta voix parle à ma gauche, à ma droite ;
Jamais pourtant, Seigneur, tu n’as voulu montrer
La gloire de ton front que je viens adorer. »

— « Va partout où des yeux le rayon peut s’étendre ;
Ne te lasse jamais ni de voir, ni d’entendre ;
Que ton regard des bois perce les sombres murs ;
Fouille au creux des volcans ; du bord des puits obscurs,
Vois l’onduleux serpent sillonner les eaux calmes ;
Entr’ouvre les rameaux des cèdres et des palmes,
Écoute leurs oiseaux, et considère encor
Le grand désert couché dans sa cuirasse d’or ;
Des sables, des forêts, des flots, d’où qu’elle vienne,
La voix qui parlera sera toujours la mienne. »

— « Seigneur ! te voir un jour, pour prix des ans nombreux
Consumés au désert en jeûnes rigoureux !
Tu le sais, j’ai si bien dompté la faim grossière,
Qu’on dirait que je vis de flamme et de poussière.
Marchant vers l’horizon, qui recule toujours,
A peine ai-je trouvé, tous les deux ou trois jours,
Une source, un peu d’herbe et quelques sauterelles.
J’ai quitté la maison, la vigne paternelles,
Et ma mère et les miens, pour suivre ton sentier ;
A tes commandemens j’appartiens tout entier ;
A peine des humains sais-je encor le visage ;
Donne-moi mon salaire après ce dur voyage,