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sujets et d’attributs logiques, lesquels répartis en de certains cercles, unis et divisés par de certaines lignes, devaient fournir des moyens termes à tous les raisonnemens, des ressources inépuisables à la dispute, des combinaisons infinies et tout un trésor de vérités nouvelles. On s’étonne moins de voir le génie de Bruno, subtil et exalté comme celui de Raymond Lulle, s’éprendre d’un pareil art, quand on songe qu’une idée toute pareille séduisit plus tard la jeunesse de Leibnitz[1], et que ce puissant et audacieux esprit, qui devait reculer les bornes des mathématiques, n’abandonna jamais le projet d’une algèbre de la pensée. Bruno, d’ailleurs, transformait la théorie de Lulle par un principe nouveau[2], persuadé qu’il était qu’une logique secrète préside à l’ordre universel, et que celui qui parviendrait à saisir les élémens premiers de la pensée et les lois de leurs combinaisons nécessaires atteindrait au dernier fond des choses. On reconnaît là l’idée fondamentale de la logique de Hegel. Le lullisme de Bruno, comme sa polémique contre Aristote, comme sa réhabilitation de Pythagore et de Kopernic, tout nous ramène donc à l’examen de son système métaphysique.

Le premier principe de ce prétendu athée, c’est qu’il existe au-dessus de la nature visible, par-delà ces existences mobiles et contraires qui remplissent l’espace et le temps, un principe infini et éternel, une unité invisible, une identité immuable qui règle et domine toutes les oppositions. Cet être des êtres, cette unité des unités, cette monade des monades, c’est Dieu[3].

On ne démontre pas Dieu ; l’âme le sent et le respire dans la création infinie. Comment penser que Dieu n’est pas, puisque l’idée de l’unité absolue est la condition de toute pensée ? Pour s’élever à Dieu, il ne faut pas entasser les syllogismes à la façon d’Aristote ; il suffit de contempler la nature et de recueillir en soi l’écho de l’universelle harmonie. L’âme se monte alors au ton de l’infini ; elle oublie tout ce qui

  1. Voyez dans l’édition d’Erdmann l’Ars combinatoria composé par Leibnitz en 1666, c’est-à-dire à l’âge de vingt ans. — Comparez avec les écrits postérieurs : De Scientia universali, seu calculo philosophico, 1684.- Guilielmi Pacidii Plus Ultra, etc., etc.
  2. C’est surtout dans les écrits latins de Bruno que l’on trouvera sa logique. Nous indiquons ici les plus importans avec la date et le lieu probable de leur publication De Compendiosa architectura, et complemento artis Lulli. Paris, 1582. — De Umbris idearum. Ibid. — De Lampade combinatoria Lulliana. Wittenberg, 1587. — De Imaginum, signorum et idearum composilione. Francfort, 1591. — La métaphysique de Bruno est surtout renfermée dans ses écrits italiens : De la causa, principio ed uno. Londres, 1584. — De l’Infinito, universo e mondi. Ibid. — Joignez à ces deux écrits fondamentaux le De triplici minimo et mensura, Francfort, 1591, et le De Monade, numero et figura, auquel se trouve joint le De immenso et innumerabilibus, seu de universo et mundis. Ibidem. — Sur toute cette partie bibliographique, consultez l’exact et savant ouvrage de M. Bartholmess, II, liv. II.
  3. « Deus est monadum monas, nempe entium entitas. » (De Minimo, lib. I, p. 17.)