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d’Aristote, peut-être n’eût-il pas été entièrement isolé ; mais il touchait aux fondemens de la religion, et l’orthodoxie d’Oxford n’était guère moins vigilante et moins rigide que celle de la Sorbonne.

Tout alla bien au commencement. Protégé par l’ambassadeur de France, Michel de Castelnau, ami déclaré de la philosophie, qui, dans ce siècle de fanatisme sanguinaire, tint à honneur d’être le traducteur de Ramus et l’hôte de Giordano Bruno ; présenté à Philippe Sydney, ce magnanime esprit qu’on est sûr de rencontrer partout où il y a un opprimé à protéger, une cause généreuse à défendre, le philosophe napolitain fut en grande faveur à la cour de la reine Élisabeth. Il ne montra pas moins d’enthousiasme pour elle que Shakespeare, qui l’appelait la belle vestale assise sur le trône de l’Occident. » Bruno la compare à Diane, et trouve réunis en Élisabeth la beauté de Cléopâtre et le génie de Sémiramis. Ne reprochons pas trop sévèrement à l’enthousiaste Italien ces éloges outrés pour une reine de génie. De retour dans sa patrie, ce grain d’encens brûlé en l’honneur d’une protestante ne lui coûtera que trop cher. Plein de confiance dans la protection d’Élisabeth, Bruno se rend à Oxford, fier d’attaquer le péripatétisme dans l’une de ses citadelles. Cette université était tellement attachée à Aristote, qu’un de ses statuts portait : « Les bachelors et les masters of arts qui ne suivent pas fidèlement Aristote sont passibles d’une âmende de cinq shillings par point de divergence, ou seulement pour toute faute commise contre l’Organon. » Bruno obtint cependant la permission d’enseigner, et nous le voyons même paraître avec éclat dans une occasion solennelle. Un royal visiteur étant venu à Oxford, on lui donna une fête splendide appropriée au caractère de cette ville universitaire. Le chancellor, Leicester, conduisit son hôte dans tous ces collèges que le voyageur peut encore admirer aujourd’hui, avec leurs élégantes chapelles, leurs flèches élancées, leurs cloîtres rians ; leurs parcs aux majestueux ombrages. Le collége du Christ, le collége de toutes les Âmes (all souls College), furent tour à tour le théâtre de fêtes savantes. Au collége de la Vierge, on s’arrêta pour assister à une dispute philosophique où Bruno eut à lutter avec les maîtres éprouvés d’Oxford. La passe d’armes fut des plus brillantes. Il y eut un docteur quinze fois désarçonné. Ce qui relève la frivolité de cette joûte et lui donne un certain air de grandeur, c’est le sujet choisi pour la dispute. Bruno, organe de l’esprit nouveau, soutenait l’astronomie de Kopernic contre celle de Ptolémée, défendue par l’interprète orthodoxe de l’université d’Oxford.

Chaque jour plus audacieux, le philosophe napolitain osa aborder la redoutable question de l’immortalité de l’âme. Sans s’inscrire en faux contre l’orthodoxie, Giordano, renouvelant la métempsycose pythagoricienne, se hasardait à conduire l’âme, après cette vie, de corps en corps et de monde en monde, et la personnalité humaine paraissait un