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rité imposante du siècle de saint Thomas ni la liberté réglée du siècle de Descartes et de Bossuet.

Si la vraie originalité et la vraie grandeur manquent aux monumens philosophiques de la renaissance, on peut dire, avec M. Cousin[1], que les hommes de ce temps valent mieux que leurs ouvrages. Ces hommes sont des martyrs. La règle a manqué, il est vrai, à leur esprit, mais la foi et la force n’ont jamais fait défaut dans leur ame ; ils n’ont pas connu l’usage vrai de la liberté, mais ils ont su combattre, souffrir et mourir pour elle. En lisant leurs écrits, il est bien difficile de ne pas être sévère pour quelques-unes de leurs doctrines. Quand on les suit au fond des cachots et sur les bûchers, on ne peut que les plaindre, les admirer et les absoudre. Quelle tragédie que la vie et la mort des plus grands esprits du XVIe siècle ! L’un, condamné au feu par ce parlement auquel s’attache le nom de Calas, marche au supplice d’un pas ferme et ne pousse un cri de douleur que lorsque sa langue est arrachée par les tenailles du bourreau ; l’autre lutte vingt-sept ans dans les fers, livré sept fois à des tortures effroyables ; un troisième est massacré dans la nuit de la Saint-Barthélemy, et d’ingrats écoliers, ameutés par le fanatisme, mutilent et déshonorent son cadavre ; un autre enfin, hardi et courageux entre tous, précède Galilée dans les prisons de l’inquisition romaine, et, après huit ans de souffrances qui n’ont pu ébranler son courage, il est livré aux flammes au sein de cette Rome qui autrefois écoutait Lucrèce, applaudissait Cicéron, honorait Plotin.

C’est à l’honneur de cette dernière victime qu’un jeune écrivain vient de consacrer le premier essai de son talent[2]. Disons sans hésiter que l’ouvrage de M. Bartholmess sur Giordano Bruno est un travail plein de savoir et de mérite ; ajoutons que, s’il est déjà très précieux par tout ce qu’il nous donne, il l’est plus encore par tout ce qu’il nous promet. Si j’avais un idéal à proposer à M. Bartholmess, ou, comme dirait un homme du XVIe siècle, si j’avais à tirer son horoscope, je lui dirais qu’il est destiné à devenir l’historien de la philosophie de la renaissance. Le XVIe siècle est un siècle d’érudition, et M. Bartholmess est avant tout un érudit. L’érudition, une érudition universelle et sans bornes, voilà son goût, son talent, sa muse, quelquefois son mauvais génie. L’histoire de la philosophie de la renaissance demande, outre la connaissance des deux grandes langues de l’antiquité, celle de la langue et de la littérature de l’Italie, de l’Angleterre, de l’Allemagne. M. Bartholmess sait le latin, il n’ignore pas le grec ; il manie avec aisance l’italien, l’anglais, l’allemand, l’espagnol, le hollandais ; il sait même, je crois, un peu d’hébreu ; du moins il en cite, et je désire qu’il soit en effet bon hébraïsant

  1. Dans son savant morceau sur Vanini, inséré dans cette Revue le 1er décembre 1843.
  2. Je me trompe : M. Bartholmess s’est déjà signalé par un succès honorable dans le dernier concours de l’Académie des sciences morales et politiques.