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des Lois, et de n’y voir que des allégories brillantes où se complaisait l’imagination de l’artiste grec, ou tout au plus des inconséquences que le bon sens du disciple de Socrate arrachait à la logique du dialecticien. Le Dieu de la dialectique platonicienne, c’est, nous dit-on, l’unité absolue, sans détermination, et partant sans pensée, sans action et sans vie ; tout le reste est étranger au système.

Ceux qui défigurent Platon de la sorte tombent dans une confusion contre laquelle il a protesté toute sa vie. Ils confondent la creuse dialectique d’Élée, ressuscitée plus tard par Alexandrie, avec la méthode de Platon. C’est confondre le spiritualisme avec ses excès ; c’est entièrement méconnaître le vrai caractère de la philosophie platonicienne. La dialectique n’est point un procédé purement logique, partant de l’abstraction pour aboutir à l’abstraction et s’y consumer. C’est une méthode à la fois expérimentale et rationnelle qui plonge par ses racines dans la réalité vivante et atteint à son faîte le principe même de toute réalité. Pénétré de l’inconsistance des choses sensibles, Platon se replie sur la conscience, et, de ce ferme point d’appui, il s’élève sur les ailes de la réminiscence jusqu’aux idées, c’est-à-dire jusqu’aux types absolus de l’existence. Les idées une fois atteintes le conduisent d’elles-mêmes à leur principe, qui est la perfection absolue, le bien, soleil du monde spirituel, lumière de l’esprit, aliment de l’âme, principe de tout ordre, de tout mouvement, de toute beauté. Est-ce là, dirai-je avec Platon, une unité vide et immobile ? « Mais quoi ! par Jupiter ! nous persuadera-t-on si facilement qu’en réalité, le mouvement, la vie, l’âme, l’intelligence, ne conviennent pas à l’être absolu ? que cet être ne vit ni ne pense, et qu’il demeure immobile, immuable, sans avoir part à l’auguste et sainte intelligence[1] ! » Voilà le Dieu légitime de la dialectique. Dira-t-on maintenant qu’avec cette méthode Platon n’a pas résolu tous les problèmes de la philosophie, qu’il ne s’est expliqué que d’une manière imparfaite, incertaine, sur le rapport de Dieu au monde ? J’en conviens. Dira-t-on aussi que cette même méthode dialectique, entre les mains d’esprits téméraires, peut conduire au mysticisme, au panthéisme, au fatalisme, à toutes les folies ? J’en conviens encore, et c’est, en effet, dans cet excès que s’est jetée l’école d’Alexandrie. Déjà Platon avait affaibli l’individualité et trop dédaigné l’expérience. Alexandrie, perdant toute mesure et ne gardant plus aucun souvenir de la sobriété socratique, atteint en trois pas, d’Ammonius à Plotin, de Plotin à Porphyre, et de Porphyre à Iamblique, jusqu’aux dernières extravagances d’un illuminisme sans frein. Aussi, tandis que le vrai platonisme s’était fait pour le salut du monde l’allié de la religion chrétienne, Alexandrie en devient la plus acharnée adversaire.

  1. Platon, trad. franc., XI, p. 261.