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sans doute présens à l’esprit certains axiomes de cette philosophie de Robespierre et de Saint-Just, qui flétrissait l’opulence comme une infamie, et déclarait l’industrie indigne d’un véritable citoyen.

Le célèbre écrivain était aussi dominé par le désir de trouver à son histoire, je me trompe, à son poème, un idéal qui pût lui servir de glorieux dénoûment. Aussi nous dit-il qu’avec Robespierre et Saint-Just finit la grande période de la république, qu’après eux la république tombe du spiritualisme dans l’ambition. Il faut à M. de Lamartine des types, des personnifications des choses et des idées nécessaires. Aussi Mirabeau, c’est la foudre ; Danton, l’audace ; Marat, la fureur ; Mme Roland, l’enthousiasme ; Charlotte Corday, la vengeance ; Robespierre, l’utopie ; Saint-Just, le fanatisme de la révolution. Mais enfin quelle est la part du crime et quelle est la part de la vérité ? Écoutons encore M. de Lamartine : « Les individus sont innocens ou coupables, touchans ou odieux, victimes ou bourreaux. L’action est grande, et l’idée plane au-dessus de ses instrumens comme la cause toujours pure sur les horreurs du champ de bataille. » M. de Lamartine avoue bien qu’après cinq ans la révolution n’est plus qu’un vaste cimetière ; il voit écrit sur la tombe de chacune de ces victimes un mot qui la caractérise sur l’une philosophie, sur l’autre éloquence, sur celle-ci génie, sur celle-là courage, ici crime, là vertu, et sur toutes il est de plus écrit : Mort pour l’avenir et ouvrier de l’humanité. On conviendra que la tombe du crime est singulièrement placée entre celle du courage et celle de la vertu. Dans son enthousiasme, M. de Lamartine déclare qu’une nation ne doit pas regretter le sang qui a coulé pour faire éclore des vérités éternelles. Dieu a mis ce prix à la germination et à l’éclosion de ses desseins sur l’homme. Les idées végètent de sang humain. Les révolutions descendent des échafauds. Voilà de terribles pensées. Toutefois rassurons-nous par une heureuse et honorable inconséquence, M. de Lamartine ajoute que le crime a tout perdu en se mêlant dans les rangs de la république, qu’il ne faut pas chercher à justifier l’échafaud par la patrie, les proscriptions par la liberté, et qu’on doit se garder d’endurcir l’ame du siècle par le sophisme de l’énergie révolutionnaire. Si nous voulions être sévèrement logique, nous pourrions répondre à M. de Lamartine que souvent il a lui-même cédé à cette mauvaise pente, et qu’il a fait ce qu’il blâme ; mais nous aimons mieux prendre acte des dernières paroles de son livre où il désavoue au nom de la démocratie tout avenir qui voudrait encore être sanglant.

Seulement, dans le domaine de l’histoire, il nous est impossible de ne pas remarquer que M. de Lamartine se montre au plus haut point fataliste et révolutionnaire. Qu’est devenu ce projet annoncé de nous donner le correctif et le contre-poids des opinions et des tendances attribuées souvent avec autant de légèreté que d’exagération à deux