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hommes, à toutes les factions, la même ironie, la même équité, et, comme il a l’esprit entièrement libre, il peut l’avoir fantasque avec une piquante énergie. Si nous revenons à M. Michelet, quelle différence ! L’écrivain français soutient des thèses, flatte des passions ; il est sincère sans doute, mais il n’a plus la véritable indépendance du penseur ; il est mentalement affecté par une sorte de fanatisme politique qui l’exalte et le pousse. Qui ne s’en aperçoit à son style ? L’exclamation, l’apostrophe, l’interjection, y dominent. Dans un endroit il éclate ainsi : « Ah ! monsieur de Sartines, ah ! madame de Pompadour, quel poids vous traînez ! » Ailleurs il s’écriera comme Démosthènes, raillé sur ce point par Eschine : « O terre ! ô ciel ! ô justice ! » Il termine un de ses chapitres par le cri de vive la France ! Cependant le récit même, qui est le fond principal d’une histoire, est haché, souvent obscur, plutôt brisé que rapide, offrant çà et là des traits remarquables, mais dénué d’ampleur. La phrase de M. Michelet ne marche pas devant elle ; nous dirions plutôt qu’elle sautille. Enfin les effets que l’écrivain produit ressemblent à de petits coups souvent répétés : jamais il ne vous donne l’impression vivifiante de ces grands développemens de l’art et de la pensée qui, par leur éclat et leur richesse, ont pour l’esprit tout le charme des magnificences de la nature.

L’ambition est le droit du génie. Lorsque Dante, qui d’abord avait été guelfe, se déclara gibelin, lorsque, pour soutenir les prétentions de l’empereur Henri VII en Italie, il écrivit en latin son traité de Monarchia, quel homme de sens eût pu contester à Alighieri le droit d’exposer des théories politiques, parce que celui-ci passait en Italie pour avoir fait d’admirables vers ? Apparemment un grand poète ne sera pas moins libre au XIXe siècle qu’au XVIIIe dans l’emploi de ses facultés et de la puissance de son talent. M. de Lamartine, d’abord monarchique, est devenu démocrate : illustre dans la poésie, il a voulu conquérir dans la politique une autre renommée, et il n’a pas échoué dans ses efforts. En effet, si sévèrement que l’on juge le fond des opinions que dans ces dernières années il a portées à la tribune, on ne saurait nier l’éclat qu’il a su leur prêter. Il se révéla dans M. de Lamartine un don oratoire d’autant plus remarquable, qu’il s’alliait, dans la même imagination, à cette verve poétique dont les merveilleux effets nous avaient enchantés tant de fois. Cependant, même au milieu des applaudissemens décernés à la brillante abondance de sa parole, M. de Lamartine voulut encore par de nouveaux moyens donner à son caractère politique plus de consistance, plus de gravité. Il avait en face de lui dans le parlement des hommes d’état qui, avant d’entrer aux affaires, s’étaient rendus célèbres par leurs travaux historiques ; il envia l’autorité que leur donnait nécessairement une pareille initiation à la politique : lui aussi voulut être historien. Dans la seule pensée d’une rivalité aussi difficile, il y avait déjà une force audacieuse qui excita une vive attente.