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Pour dire la vérité, maintenant les hommes sont plus éclairés, aujourd’hui ils ne s’entretuent plus par zèle religieux, au nom des intérêts du ciel.

Non, ce n’est pas cette pieuse erreur, ce saint délire, cette généreuse folie, mais bien l’égoïsme personnel, qui les poussent au meurtre et à l’assassinat.

Ils s’acharnent à l’envi sur les biens de cette terre ; c’est un pillage universel, et chacun tue et vole pour soi-même.

Oui, les biens de la communauté terrestre deviennent la proie d’un seul maître, de l’homme, et il parle alors de droits de possession, de propriété.

Propriété, droits de possession ! O vol, ô mensonge ! L’homme seul pouvait inventer un pareil mélange de ruse et d’absurdité.

La nature n’a pas créé de propriété, car tous, oui tous, nous venons sans poche au monde, sans poche sur l’épiderme.

Aucun de nous tous n’a de naissance de pareils petits sacs sur le corps inventés pour recéler les vols.

L’homme seul, cet être nu qui se fit avec art un vêtement de la laine étrangère, sut aussi, avec le même art, se procurer des poches.

Une poche ! c’est aussi peu naturel que la propriété et les droits de possession. Les hommes ne sont que des filous qui empocheraient les étoiles du ciel.

Je les hais avec une légitime fureur ! Mon fils, je veux te transmettre cette haine ; ici, sur cet autel, jure haine éternelle au genre humain.

Sois l’ennemi implacable de ces vils oppresseurs, leur ennemi implacable jusqu’à la fin de tes jours. Jure, jure ici, mon fils !… -

Et le jeune ours jura, comme autrefois Annibal, fils d’Amilcar. La lune éclaira de sa lueur blafarde et sinistre le vieux dolmen et les deux misanthropes.

Un jour, nous dirons comment le jeune ours tint fidèlement son serment. Notre lyre le chantera dans une prochaine épopée.

Quant à Atta Troll, nous l’abandonnons également, mais pour le retrouver plus tard et plus sûrement au bout de notre fusil.

Va, ton affaire est faite. Tu es accusé du délit d’exciter à la haine et au mépris d’un gouvernement humain et juste… Demain nous t’appréhenderons au corps.


XI.

Comme des bayadères assoupies, les montagnes frissonnent dans leurs blancs peignoirs de nuages que la brise du matin soulève.

Mais elles se réveillent bientôt sous les baisers du soleil ; il leur enlève peu à peu jusqu’au dernier voile et les contemple dans toute leur beauté.