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des institutions modernes. Durant la révolution et l’empire, la famille fut absorbée par l’état, c’était mauvais ; n’est-ce pas un peu le contraire à présent, et le contraire vaudrait-il mieux ? A mesure que la vie publique semble s’affaiblir et se détendre, elle se subordonne à la vie privée ; on ne se pique pas d’être un rare citoyen, mais on est si bon père ! Les vertus domestiques finiront-elles ainsi par nous dispenser de toutes les autres ? Il ne s’en faudra guère alors qu’elles ne vaillent des vices. Toujours au guet pour saisir à propos le vent de la mode, la fausse science n’a pas manqué de suivre ici le courant ; elle s’efforce de supprimer l’état dans l’histoire comme dans la politique, elle lui nie partout son droit et ses titres au bénéfice exclusif de la famille ; l’état pour elle, ce ne serait jamais que la famille en grand. Mensonge calculé ! L’état n’est pas la famille, la famille n’est pas et ne peut être l’état ; les rois pasteurs des peuples sont de l’âge d’Homère. La famille est l’association passive des instincts et des sentimens ; elle se reproduit sans but. L’état est l’association libre et active des intelligences ; il se propose une fin. La famille n’a point d’histoire, et l’homme est au monde pour en avoir une ; le premier jour de l’histoire, c’est le jour où disparaissent les patriarches.

Mais comment le barbare dévoué corps et ame au chef de sa tribu, attaché de sa propre personne à cette personne supérieure par le seul lien des affections et des instincts domestiques, comment le barbare, au sortir de la vie de famille, eût-il jamais conçu sans intermédiaire notre état d’aujourd’hui, cette puissance abstraite qui représente la somme de tous les intérêts et de toutes les volontés, qui domine ses plus hauts serviteurs comme le droit domine la loi, cet être idéal pour lequel on donne sa vie comme on la donnerait pour un être de chair et de sang ? Il fallait une transition, il fallait d’abord un signe matériel pour que l’idée d’une société fixe et régulière s’incarnât plus facilement dans les esprits. Ce signe s’est trouvé du moment où la propriété individuelle a remplacé sur un sol divisé la possession confuse du clan sur un sol presque indivis. Une société de propriétaires distincts s’installe au lieu de camper, et cette situation nouvelle la conduit à toutes les inventions qui font la grandeur et prouvent la vocation de l’homme. C’est en s’attachant à la terre que l’homme se tire de cette existence vague et commune où son originalité créatrice s’effaçait derrière les caractères généraux de sa race. C’est la tenure de la terre qui l’élève à une vie plus diverse et l’oblige à des relations plus raisonnées. La terre alors le gouverne ; « c’est la terre qui fait l’homme, » et voilà le premier axiome, le sens naturel des institutions féodales. De ce point de vue-là, elles ont existé partout et dans tous les temps ; ce n’est pas qu’elles doivent exister toujours. Vient en effet le moment où la société n’a plus besoin de cette représentation palpable de son essence