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deux nations ; mais là où la cause de la civilisation et de la liberté réclamerait une action commune, des efforts combinés et puissans, l’Angleterre et la France se diviseront et porteront dans des camps opposés leur influence, qui, réunie, eût été irrésistible.

Le Portugal est toujours le théâtre des complications les plus désolantes, et la guerre civile, en se prolongeant, épuise les ressources si minimes qui restaient encore à ce malheureux pays. Elle a fait pis, et d’incidens en incidens elle le place aujourd’hui, par la résurrection du parti miguéliste, sous le coup d’une intervention étrangère. Les formes modernes du gouvernement constitutionnel, l’établissement parlementaire, les lois d’ordre général, auront long-temps encore un double obstacle à surmonter dans ces pays du Midi, si différens par leurs traditions et leurs mœurs de nos pays du Nord : les habitudes impérieuses des souverains, les habitudes indisciplinées des sujets, semblent rivaliser d’opiniâtreté pour contrarier le progrès pacifique de l’esprit nouveau dans ces vieilles sociétés. Nous avons déjà dit ce qu’étaient devenues les libertés portugaises sous l’administration des Cabral ; nous avons raconté cette lutte si regrettable sourdement engagée par le palais des Necessidades contre l’administration de M. de Palmella ; nous avons déploré le coup d’état qui termina d’une façon si choquante des hostilités si profondément inconstitutionnelles. Doña Maria s’est ainsi, par la faute de ses conseillers les plus intimes, précipitée elle-même avec son pays dans la situation la plus critique ; elle a déchaîné les passions de ces masses paresseuses et violentes, telles qu’on les trouve dans ces contrées à la fois bénies et brûlées par le soleil, de ces hommes qui, sans industrie régulière, sans besoin d’aisance et de bien-être, partagent volontiers leur vie entre les aventures et l’oisiveté. Aujourd’hui la guerre est en Portugal ce qu’elle était il y a quelques années en Espagne, un amusement ou un métier ; c’est à peu près partout la guerre de partisans ; ce sont, dans les sierras d’Estrella et de Monchique, les mêmes gens qu’en Navarre et dans les provinces basques, des indépendans par excellence ; il n’y a pas plus d’idées constitutionnelles dans les citoyens que dans le gouvernement. Les juntes d’insurrection, dirigées par des personnages qui devraient avoir plus de notions politiques, ont cependant subi l’aveugle entraînement de la foule ; elles ont commis la faute impardonnable de procéder comme on procédait au moyen-âge elles ont déposé la reine et ouvert le champ-clos aux candidats qui voudront disputer la succession royale ; elles ont pactisé sous bénéfice d’inventaire avec dom Miguel, sans voir autre chose dans ce pacte monstrueux entre les libéraux et l’absolutisme qu’un expédient de circonstance. Il n’y a plus ainsi pour le peuple des campagnes à s’inquiéter de savoir quelle charte il faut défendre, et, n’ayant jamais bien saisi les différences qui les séparent toutes, il est beaucoup plus à son aise en face de deux noms entre lesquels on l’invite à choisir : dom Miguel ou doña Maria. Les libéraux ont par là terriblement simplifié la question ; mais à quel prix ? en la tranchant contre eux-mêmes, grace à cette funeste alliance dans laquelle ils ont tout confondu. Dom Miguel est aussi impossible à Lisbonne que le comte de Montemolin à Madrid, et, si quelque chose peut déconcerter d’avance l’espoir qui semblait ranimer les carlistes à la suite d’encouragemens inattendus, c’est assurément l’opposition très décidée que l’Angleterre ne peut manquer de faire aux entreprises miguélistes. Lord Lansdowne s’en est très nettement expliqué.