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nature, cette moraine se confond avec les roches d’éboulement. Rien n’est en effet plus difficile que de distinguer les blocs erratiques lorsqu’ils ont le même aspect et la même composition minéralogique que la roche sur laquelle ils reposent. D’un autre côté ; ces fragmens de calcaire, de schiste, de grès, n’ont point résisté comme la protogine à l’influence des agens atmosphériques, et ont été détruits en grande partie.

On voit que la théorie de l’ancienne extension des glaciers explique très bien la séparation des blocs de protogine et de la moraine calcaire. La supposition d’un courant diluvien est impuissante à résoudre cette difficulté. En effet, comment comprendrait-on qu’un torrent impétueux qui aurait entraîné pêle-mêle les fragmens calcaires et les blocs de granite aurait déposé les uns sur sa rive gauche, les autres sur sa rive droite, sans jamais les mélanger entre eux ? Cette supposition est inadmissible et prouve l’insuffisance de l’hypothèse diluvienne.

La longue moraine latérale qui s’étend de Cluses à Bonneville forme une zone non interrompue tout le long du flanc gauche de la vallée. Les derniers blocs de cette moraine sont souvent à 640 mètres au-dessus de l’Arve, témoin ceux qu’on remarque dans le voisinage de l’église du mont Saxonex, dont la position élevée et l’aspect pittoresque attirent de loin les yeux du voyageur. Toute la plaine comprise entre Bonneville et la montagne de Salève est semée de nombreux blocs erratiques. Toutefois ces blocs manquent complètement sur une bande longue de 17 kilomètres et d’une largeur variable qui s’étend depuis l’entrée de la vallée du Bornand jusqu’à Nangy, village situé sur la route de Bonneville à Genève. Cette longue bande, connue sous le nom des Rocailles, est presque complètement inculte et contraste par sa stérilité avec la végétation vigoureuse de la plaine environnante. La petite ville de la Roche, les villages de Saint-Laurent et de Cornier sont bâtis sur les Rocailles, tandis que ceux de Pers, de Saint-Romain et de Nangy sont placés sur les bords. En pénétrant au milieu de ces rochers, dont plusieurs, élevés de 30 à 40 mètres, portent les imposantes ruines des châteaux de la Roche, du Châtelet et les tours de Saint-Laurent et de Bellecombe, le géologue se voit transporté tout à coup dans un pays calcaire. La nature minéralogique des roches qui l’environnent, la boue blanche qui couvre la route, tout le confirme dans cette idée. Le botaniste reconnaît immédiatement les plantes propres aux montagnes calcaires, le buis, le cyclamen, le dompte-venin ; mais ces apparences sont trompeuses : partout où les torrens ont entamé le sol, on voit les bancs de mollasse sur lesquels reposent ces masses calcaires. Les coquilles fossiles qu’elles contiennent achèvent de démontrer que ces masses ne sont pas à leur place, mais qu’elles ont été arrachées jadis aux parties élevées des montagnes du Bornand, et transportées dans la plaine. On acquiert enfin la conviction que les Rocailles sont