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trouvais des surfaces polies et couvertes de stries. Les cailloux et les grains de sable qui les avaient gravées étaient encore enchâssés dans le glacier comme le diamant du vitrier est fixé au brut de l’instrument qui lui sert à rayer le verre.

La netteté et la profondeur des stries dépendent de plusieurs circonstances. Si la roche en place est calcaire, et que l’émeri se compose de cailloux et de sable provenant de roches plus dures, telles que le gneiss, le granite ou la protogine, les stries seront très marquées. C’est ce que l’on peut vérifier au pied des glaciers de Rosenlaui et de Grindelwald, dans le canton de Berne. Au contraire, si la roche est gnéissique, granitique ou serpentineuse, c’est-à-dire très dure, les stries seront moins profondes et moins marquées, comme on peut s’en assurer aux glaciers de l’Aar, de Zermatt et de Chamonix. Le poli sera le même dans les deux cas, et il est souvent aussi parfait que celui des marbres qui ornent nos édifices.

Les stries gravées sur les rochers qui contiennent ces glaciers sont en général horizontales ou parallèles à sa surface. Toutefois, aux rétrécissemens des vallées, ces stries se redressent et se rapprochent de la verticale. Il ne faut point s’en étonner. Forcé de franchir un détroit, le glacier se relève sur ses bords et remonte le long des flancs de la montagne qui lui barre le passage. C’est ce qu’on voit admirablement près des chalets de la Stieregg, étroit défilé que le glacier inférieur de Grindelwald est obligé de franchir avant de s’épancher dans la vallée de même nom. Sur la rive droite du glacier, les stries sont inclinées de 45 degrés à l’horizon ; sur la rive gauche, celui-ci s’élève quelquefois jusqu’aux forêts voisines, et entraîne de grosses mottes de terre chargées de touffes de rhododendron et de bouquets d’aunes, de bouleaux ou de sapins. Les roches tendres ou feuilletées sont brisées et démolies par la force prodigieuse du glacier. Les roches dures lui résistent ; mais la surface de ces roches, aplanie, usée, polie et striée, témoigne assez de l’énorme pression qu’elles ont eu à supporter. C’est ainsi qu’au glacier de l’Aar, le pied du promontoire sur lequel s’élève le pavillon de M. Agassiz est poli sur une grande hauteur, et sur la face tournée vers le haut de la vallée j’ai observé des stries inclinées de 64 degrés. La glace redressée contre cet escarpement semblait vouloir l’escalader ; mais le roc de granite tenait bon, et le glacier était obligé de le contourner lentement.

En résumé, la pression considérable d’un glacier, jointe à son mouvement de progression, agit à la fois sur le fond et sur les flancs de la vallée qu’il parcourt. Il polit tous les rochers assez résistans pour n’être pas démolis par lui, et leur imprime souvent une forme particulière et caractéristique. En détruisant toutes les aspérités de ces rochers, il en nivèle la surface et les arrondit en amont, tandis qu’en aval ils conservent