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à l’alimentation de ces glaciers. Plus ces cirques seront vastes et élevés, et plus la quantité de neige qui s’y accumulera sera considérable, plus aussi les émissaires des champs de neige descendront dans les basses vallées et regagneront, pour ainsi dire, le terrain que la fusion leur fait perdre chaque année. C’est ainsi que le glacier des Bossons, dont la source est au grand plateau du Mont-Blanc, vaste cirque situé à près de 4 000 mètres au-dessus de la mer, s’abaisse jusqu’à 1 040 mètres, et s’avance au milieu des habitations, des vergers et des champs cultivés. Les glaciers d’Aletsch, de Viesch, de Grindelwald, de Zermatt, sont dans le même cas. Tous les ans, le voyageur étonné peut voir des moissons dorées à côté du glacier de la Brenva, qui descend de la face méridionale du Mont-Blanc. L’influence de la grandeur et de l’élévation des cirques contre-balance même, suivant la remarque de M. Desor, celle de l’exposition, et explique ce fait surprenant, que les glaciers les plus longs et les plus puissans des Alpes bernoises se trouvent sur le versant méridional de la chaîne.

Nous avons vu que ces glaciers étaient animés d’un mouvement de progression qui les entraîne vers la plaine. Quelles sont les lois de ce mouvement ? La recherche de ces lois a constamment préoccupé tous les physiciens qui se sont livrés à ce genre de travaux, sans qu’ils aient pu jusqu’ici déduire, la cause de cet avancement de l’ensemble des phénomènes singuliers qui le caractérisent. M. J.-D. Forbes les a étudiés sur la mer de glace de Chamonix ; mais c’est sur les glaciers de l’Aar que les observations ont été continuées avec le plus de soin et de persévérance. Depuis 1842, MM. Agassiz et Desor, aidés du concours de MM. Wild, Otz et Dollfus-Ausset, se sont occupés sans relâche de cette question ; ils ont constaté que, dans sa partie moyenne, ce glacier avance de 71 mètres par an. Vers l’extrémité inférieure, la vitesse de la progression se ralentit au point de n’être plus que de 39 mètres ; elle s’accélère au contraire un peu vers le haut, où le glacier parcourt annuellement un espace de 75 mètres[1].

  1. Voici en résumé par quelle méthode on mesurait l’avancement du glacier. Sur les deux rives, on choisissait deux rochers situés en face l’un de l’autre ; chacun de ces rochers était marqué d’une croix blanche peinte sur la pierre ; puis on plantait dans la glace une série de piquets alignés entre ces deux points, de manière à former une ligne droite perpendiculaire à l’axe du glacier. Au bout de quelques jours, un observateur se plaçait devant l’une des croix et dirigeait une lunette portant un niveau et un réticule vers celle qui était en face. Le glacier ayant marché et les piquets avec lui, ceux-ci ne se trouvaient plus dans l’alignement primitif. Alors un guide posté sur le glacier et portant une perche sur montée d’un objet bien visible la plaçait dans la direction de l’ancien alignement. Cette direction lui était indiquée par les signaux de l’observateur, dont l’œil était à la lunette. Celui-ci faisait déplacer la perche en amont et en aval jusqu’à ce qu’elle fût exactement au point occupé primitivement par le piquet. Cela fait, le guide mesurait sur la glace la distance du pied de la perche à celui du piquet. Cet intervalle était précisément la longueur parcourue par le glacier entre les deux observations. Cette année, ce procédé a été modifié par MM. Dollfus, Otz et moi, de manière à nous permettre de suivre la marche journalière du glacier de l’Aar avec une exactitude telle, que l’erreur d’observation ne pouvait pas dépasser deux millimètres ou une ligne environ.