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dans leurs limites actuelles, ou se sont-ils étendus autrefois dans les grandes plaines qui environnent la chaîne des Alpes ? Tel est le problème réduit à sa plus simple expression. Mon but est d’exposer les faits sur lesquels s’appuient les partisans de l’ancienne extension des glaciers. Pour faire accepter cette idée, ils ont à combattre, chez les savans, des convictions anciennes appuyées sur les autorités les plus irrécusables en géologie ; chez les gens du monde, le témoignage de la tradition biblique et celui de tous les sens qui se révoltent à la seule pensée que ces plaines si fertiles et si animées aient été ensevelies pendant de longues périodes de temps sous un immense linceul de neige et de glace. Les uns et les autres ont le droit d’exiger des preuves nombreuses et positives. Ces preuves existent ; mais, avant de les examiner, il est indispensable de posséder quelques notions sur les glaciers actuels ; car la méthode suivie par les géologues auxquels on doit les résultats que nous allons exposer a toujours été celle que M. Constant Prévost a introduite dans la science, et qui peut se résumer en ces mots : « Étudier le mode d’action des élémens naturels que nous voyons fonctionner sous nos yeux et comparer les effets qu’ils produisent à ceux dont la surface du globe a conservé l’empreinte. » En procédant ainsi, nous verrons que partout, dans les vastes plaines qui environnent les Alpes, on rencontre les traces de ces glaciers gigantesques dont ceux d’aujourd’hui ne sont, pour ainsi dire, que la miniature. Cependant, quoique réduits à de faibles dimensions, les glaciers actuels nous offrent en petit tous les phénomènes que les nappes de glace offraient jadis sur une plus grande échelle. Les effets sont les mêmes, et de leur identité nous pourrons conclure à celle des agens qui les ont produits.


I. – DES GLACIERS ACTUELS.

Du haut des crêtes du Jura, qui dominent le bassin du Léman, on embrasse d’un seul coup d’œil toute la chaîne des Alpes, depuis le Valais jusqu’en Dauphiné. Seule, la masse colossale du Mont-Blanc, assise sur sa large base, s’élève majestueusement au-dessus de cette longue arête dentelée. Les plus hautes cimes se distinguent des sommets moins élevés par la blancheur éclatante des neiges qui les recouvrent. En été, la limite inférieure de ces neiges perpétuelles forme une ligne droite horizontale, parfaitement tranchée, qui contraste avec la sombre verdure des forêts étendues au pied des montagnes. Cette ligne, c’est celle des neiges éternelles. Au-dessus, l’hiver règne seul ; au-dessous, les saisons suivent leur cours régulier. Au-dessus, la vie existe à peine et est représentée seulement par quelques plantes polaires et quelques insectes éphémères ; au-dessous, elle se manifeste sous mille formes variées, depuis les plus hautes régions où s’aventurent le pin et le chamois