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se leva et commençait à s’excuser ; mais Bonaparte n’écouta pas ses excuses et l’accabla d’injures. Alors le chef le frappa de son épée à la tête. Bonaparte, sentant la douleur du coup, s’élança sur lui comme un lion furieux et lui tira dans la poitrine un coup de pistolet qui le renversa mort baigné dans son sang ; puis, aidé de ses compagnons, il fondit sur les autres et les poursuivit à coups d’épée et de fusil[1]. » Voilà la journée du 18 ou plutôt du 19 brumaire transformée en une émeute de Mamelouks mis à la raison par un pacha courageux.

Le Caire fut un moment français. Sous Bonaparte, le drapeau tricolore flotta sur la grande pyramide plus loin que jamais de la terre. Il fut enjoint à tous les habitans de l’Égypte de porter la cocarde républicaine. Les autorités du Caire célébrèrent l’anniversaire de la fondation de la république française. Un autre jour, revêtu du costume oriental, Ali Bonaparte (on lui avait donné ce nom) célébrait l’anniversaire de la naissance de Mahomet, ou bien, assis à côté du pacha, inaugurait par des rites qui remontaient aux Pharaons, l’inondation bienfaisante dut Nil : singulière alliance, bizarre et quelquefois fâcheux mélange, de l’Égypte et de l’Europe, de l’Orient et de l’Occident, qui dans le présent manquait souvent de grandeur et de sincérité, mais qui préparait l’avenir, qui, sans vaincre les préjugés des musulmans, accoutumait leurs yeux à des spectacles inconnus et leurs oreilles à un langage nouveau.

La France introduisit l’Europe au Caire sous de meilleurs auspices et avec des avantages plus certains en y apportant les lumières, l’industrie, la police des états civilisés. Dans une maison que tout Français salue avec respect, en mémoire des savans qui l’illustrèrent par leurs travaux et un jour l’honorèrent par leur courage, se tinrent les séances de cet institut d’Égypte dont les membres s’appelaient Fourier, Malus, Monge, Berthollet, Geoffroy Saint-Hilaire, Savigny, Dolomieu, Desgenettes, Bonaparte. Monge y exposait sa théorie du mirage ; Berthollet des découvertes dans l’art de la teinture ; Geoffroy Saint-Hilaire montrait dans la structure de l’aile de l’autruche un exemple de la corrélation des parties qui devait le conduire à son grand système de l’unité d’organisation ; Fourier lisait un mémoire sur la résolution des équations algébriques, rapportant l’algèbre agrandie sur cette terre d’Égypte qui fut son berceau.

Dans ces séances si remplies, on trouvait du temps pour entendre quelques morceaux de la Jérusalem délivrée traduits par le bon Parseval de Grandmaison, ou même un chant arabe en l’honneur de l’expédition

  1. Histoire de l’Expédition des Français en Égypte, par Nakoula-el-Turk, publiée et traduite par M. Desgranges aîné, p. 546.