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barbare. La main qui a élevé cette mosquée est la main qui a ravagé Alexandrie.

Il en est tout autrement de la mosquée bâtie deux cent cinquante ans après par le fameux Touloun[1] dans la ville qu’il fonda au nord du vieux Caire et qui fait partie du nouveau. Ici l’art a fait des progrès ; à côté du pesant arc en fer-à-cheval se montre partout l’ogive élancée, qui ne paraissait qu’une fois dans la mosquée d’Amrou. Les ornemens se sont multipliés et embellis. On sent que ce monument est contemporain des brillans califes de Bagdad, et que l’autre date de la rude époque de la conquête. Une tradition veut que le plan de la mosquée de Touloun ait été envoyé à ce prince par un architecte chrétien du fond de la prison où il était retenu. On pourrait donner à cette tradition un sens plus général et, y voir l’expression légendaire de ce fait, je crois très réel, que l’architecture musulmane procède de l’architecture chrétienne. Des artistes chrétiens, envoyés par un empereur grec, travaillèrent à la mosquée de Médine ; la Caaba, l’édifice sacré de la Mecque, la Caaba elle-même fut construite, dit-on, par deux architectes chrétiens, l’un Grec, l’autre Copte. L’art byzantin a produit les mosquées du Caire, de Constantinople et de Cordoue, aussi bien que ce même art, ou une autre altération de l’architecture antique, a produit les églises romanes ou saxonnes d’Occident. La coupole arabe vient du dôme byzantin ; le mirhab, enfoncement situé dans le mur oriental des mosquées pour indiquer la direction de la Mecque, le mirhab est une apside[2]. Le zigzag est un ornement grec. Enfin la disposition en cloître, si remarquable dans plusieurs des mosquées du Caire, et qui se retrouve dans le patio de la mosquée de Cordoue, rappelle le monastère chrétien, héritier lui-même de l’atrium gréco-romain, tel qu’on peut l’observer encore à Pompéi. On voit même au Caire une très belle mosquée, celle d’Hassan, dont la forme, chose étrange, est celle de la croix grecque. La croix semble avoir été placée dans le temple musulman par la main d’un architecte chrétien comme une protestation et une menace, pour dire à l’islamisme : Tu périras par ce signe !

Après les mosquées d’Amrou et de Touloun, antérieures à la fondation du Caire actuel, en vient une qui est contemporaine de cet événement, la célèbre mosquée El-Azar[3], bâtie par Moez en même temps que la ville, qui lui doit sa naissance. Un nouveau progrès se fait sentir. Le fer-à-cheval dominait presque exclusivement dans celle d’Amrou[4],

  1. Son vrai nom était Ahmed, fils de Touloun, Ahmed-ebn-Estouloun.
  2. Orlebar, Journal of the Bombay branch o f the royal Asiatic Society, january. 1845, 133.
  3. Ce nom est en général traduit par la mosquée des fleurs. Il semble plutôt vouloir dire l’éclatante, la très belle.
  4. On trouve cependant l’ogive dans le mirhab de cette mosquée. C’est la première fois qu’on la voit paraître dans les temps modernes.