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la fondation de cette ville jusqu’à la conquête des Turcs, des monumens remarquables se sont élevés à toutes les époques ; mais, au nombre des plus belles mosquées que le voyageur admire aujourd’hui, il en est deux qui sont antérieures à la fondation du nouveau Caire : ce sont les mosquées d’Amrou et de Touloun.

La mosquée d’Amrou, fondée au moment de la conquête, la 21e année de l’hégire, est le plus ancien monument religieux qu’ait élevé l’islamisme. C’est l’architecture musulmane à son état primitif ; on peut y étudier le type original de cette architecture, type reproduit dans les autres mosquées du Caire, et plus ou moins modifié en Espagne et en Sicile. Ce qui constitue la mosquée d’Amrou, c’est un grand cloître dont les côtés ont plusieurs rangées de colonnes et entourent un espace découvert ; au milieu est une fontaine pour les ablutions. Cette disposition paraît empruntée, comme celle du cloître chrétien, à la disposition intérieure des habitations grecques et romaines, si elle ne l’a été à celle des cours intérieures dans les grands monumens de l’ancienne Égypte. Du reste, une mosquée sans toit convient parfaitement à un pays où le ciel est presque toujours serein.

Le plan général de la mosquée d’Amrou est le même que celui de la mosquée de Cordoue, qui paraît avoir servi de modèle à toutes les mosquées de l’Espagne ; seulement, à Cordoue, la portion abritée du monument l’emporte de beaucoup sur les portions laissées à découvert. La colonnade qui forme un des côtés du grand cloître, au lieu de cinq nefs comme dans la mosquée d’Amrou, en offre dix-neuf : c’est qu’il pleut quatre fois autant à Cordoue qu’au vieux Caire. Les mosquées de Tanger et de Fez, au Maroc, rappellent aussi la forme des anciennes mosquées du Caire[1] ; il en est ainsi de celles d’Alep et de Damas. Enfin c’est sur le même plan qu’ont été construites les mosquées de Médine et de la Mecque[2]. La mosquée d’Amrou est donc un monument très important pour l’histoire de l’art musulman, dont il offre un type primordial et souvent répété. Le côté de l’édifice où les colonnes sont le plus multipliées est d’un grand effet. Ici comme à Cordoue et à Tunis, on a dépouillé, au profit de l’islamisme, les monumens de l’architecture gréco-romaine. Des chapiteaux différens de formes et d’époques, dont quelques-uns sont très beaux, servent de bases, comme des bases servent de chapiteaux. La conquête a pris ce qu’elle a trouvé, et comme elle le trouvait. Les colonnes n’étant pas assez hautes, on a démesurément allongé les arceaux qui les surmontent. En somme, il y a de la grandeur dans la mosquée d’Amrou, mais c’est une grandeur

  1. Burckard, Voyage en Arabie, I, 208.
  2. Celle-ci a été rebâtie plusieurs fois, mais il est probable qu’on a toujours reproduit le plan primitif. — Burckard, I, 180.