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subsistant au sein des mœurs nouvelles. Chez les anciens Égyptiens, la momie du mort était long-temps conservée par sa famille dans son habitation, et aujourd’hui encore les morts sont conservés souvent à domicile dans des caveaux par les habitans du Caire, et particulièrement par les Coptes. L’usage des pleureuses n’est point musulman, car il n’existe point en Syrie ou à Constantinople, et il a été interdit par Mahomet ; il peut être grec, mais il peut être aussi égyptien, car Hérodote en parle déjà, et, sur les monumens où sont représentées si fréquemment les cérémonies funèbres, on voit toujours auprès du cercueil plusieurs femmes dont l’attitude et les gestes expriment la douleur, et de tout point pareilles à celles dont on entend, en se promenant par les rues du Caire, les plaintes étranges assez semblables au gloussement d’une poule qui a perdu ses petits. Quelques-unes des superstitions actuelles semblent remonter à une haute antiquité. Ainsi chaque quartier du Caire a son génie protecteur sous la forme d’un serpent. Or, le serpent était chez les anciens Égyptiens le symbole et l’hiéroglyphe de la divinité.

Des enchantemens par lesquels les Égyptiens étaient célèbres depuis le temps de Moïse, il reste encore quelques vestiges en Égypte. Plusieurs voyageurs ont parlé de cette espèce de seconde vue dont, selon eux, des enfans du Caire ont fait preuve et par laquelle ces enfans apercevaient dans le creux de leur main tachée d’encre[1] et décrivaient exactement des personnages qu’ils n’avaient jamais vus. M. Lane et Wilkinson rendent assez bien compte de la fraude qui avait trompé d’autres voyageurs. Ces explications m’ont ôté toute envie de voir ces petits jongleurs. Il y a aussi de la fraude, je pense, dans l’empire que prennent sur les serpens certains hommes déjà souvent comparés aux psylles de l’antiquité.

J’ai vu un de ces hommes manier des serpens, jouer avec des scorpions ; je l’ai vu irriter une vipère haje de manière à la faire se dresser, le col enflé, ainsi qu’elle est représentée sur les monumens et dans les inscriptions hiéroglyphiques, où elle exprime toujours l’idée de la divinité. Cet hiéroglyphe vivant et furieux était terrible à voir, et je concevais qu’à une époque reculée il eût pu inspirer aux peuples une terreur superstitieuse. Puis l’Arabe a saisi la vipère et l’a mordue avec colère. C’était un spectacle étrange : rage de l’homme contre rage de la bête, duel sauvage qui faisait horreur à contempler ; mais on m’assura que j’avais sous les yeux un duel innocent à armes émoussées, en d’autres termes, que la dent où gît le venin de la vipère

  1. Cette jonglerie, qui n’est qu’un cas particulier de la catoptromantie (divination par les miroirs), n’est point particulière à l’Égypte ; les musulmans de l’Inde ont un procédé de divination semblable. — Reynaud, Description du cabinet Blacas, t. II, p. 401-2.