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établissemens périssent, puisque les conditions de vie leur échappent ainsi le veut non-seulement l’intérêt général, mais encore, ce qui est plus grave à nos yeux, le droit général, qui ne saurait être éternellement immolé au profit de quelques intérêts privés. Et pourquoi reculerions-nous devant cette conclusion par rapport à un certain nombre de nos usines à fer, lorsque des hommes qui ont voué leur vie entière à la défense du système protecteur n’ont pas hésité à l’admettre dans un avenir plus ou moins éloigné, et pour certaines éventualités possibles, par rapport à l’industrie du fer en général ? Écoutez ce qu’écrivait à cet égard, en 1829, un homme dont l’autorité est respectable même pour nous qui n’adoptons pas ses doctrines, à plus forte raison pour les partisans du système restrictif. « S’il était prouvé, disait M. Ferrier, que jamais la France ne produira de bon fer, ou que par la rareté du minerai, que par l’absence de houillères assez riches, ou convenablement situées, il fallût se résoudre à conserver cent ans un droit prohibitif qui, en définitive, n’aurait que faiblement agi sur les prix, ce n’est pas moi qui conseillerais de le maintenir[1]. » La question de temps, on le conçoit, ne fait rien à l’affaire, et s’il nous était prouvé, à nous, qu’un certain nombre de nos forges fussent dans une condition d’infériorité irrémédiable, nous serions autorisé, par ces paroles mêmes, à les condamner dès aujourd’hui. Après tout, si les fers traités à la houille devaient inévitablement chasser du marché les fers traités au bois, ce malheur, si c’en est un, se réaliserait toujours tôt ou tard par le seul effet de la concurrence intérieure, et la concurrence étrangère ne ferait en cela que hâter le moment fatal. Si nous n’adoptons pas cette hypothèse, ce n’est donc pas, comme on pourrait le croire, pour écarter une épine qui nous blesse, c’est parce que tout nous démontre qu’elle n’a pas de fondement dans la réalité.

Deux circonstances surtout ont contribué à propager cette erreur. La première, c’est que les deux pays de l’Europe qui se distinguent par le bon marché de leurs fers, l’Angleterre et la Belgique, sont aussi les seuls où ce métal se fabrique exclusivement à la houille, d’où l’on a conclu que l’emploi de la houille était en cela, et partout, la condition nécessaire du bon marché. On n’a pas assez remarqué que ces deux pays sont aussi les seuls où l’importation étrangère soit libre, où l’on soit affranchi par conséquent du monopole des producteurs[2]. Sans nier la grande utilité du combustible minéral dans la fabrication de la fonte et du fer, et l’heureuse influence qu’il peut exercer sur les prix, nous

  1. Du Système maritime et commercial de l’Angleterre au dix-neuvième siècle, et de l’Enquête française, par M. Ferrier ; Paris, 1829.
  2. L’importation n’est plus tout-à-fait libre en Belgique, mais seulement sujette à des droits beaucoup moins élevés qu’en France. Notre observation se rapporte à un temps antérieur ; on verra ci-après comment le régime belge a été modifié.