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du Xe siècle. Je ne veux pas dire que l’éclat qui environne Théodoric se soit répandu sur tous les chefs, sur tous les ministres qui l’ont approché ; on s’est étonné de voir, dans l’ouvrage qui nous occupe, des noms obscurs ou oubliés ; on a reproché à l’auteur d’avoir rappelé ces noms, comme s’il avait prétendu les associer à la renommée de son héros. Rien de pareil sans doute ; c’est surtout quand on écrit l’histoire qu’on apprend combien peu il reste de place pour ces noms secondaires, pour ces hommes qui ne furent qu’utiles ou courageux ; mais sans prétendre imposer ces noms à la mémoire du genre humain, il est naturel de les placer dans une histoire spéciale, dans un travail complet, qui épargnera tout recours aux sources maintenant épuisées.

Nous ne suivrons pas l’historien dans la dernière partie de son livre, qui se termine par le récit du règne d’Amalasonthe et de ses rapides successeurs, chassés enfin de l’Italie par les victoires de Bélisaire et de Narsès. Nous avons essayé d’expliquer le génie particulier de Théodoric, l’instinct supérieur qui se révèle dans ses lois, cette sorte de prescience des temps à venir, qui fait les grands hommes de tous les âges contemporains des siècles les plus avancés dans la civilisation. Sans doute le roi ostrogoth ne laissa point à sa mort une œuvre achevée. Après lui, l’Italie fut la proie de nouveaux barbares. Ses lois n’empêchèrent point l’anarchie du moyen-âge. Cette grande monarchie italienne que son génie politique avait appuyée sur l’Occident pour résister à Constantinople, sur l’Orient pour s’opposer à l’invasion de la monarchie française, ne survécut pas à celui qui l’avait fondée ; mais, bien que ses vastes projets n’aient pas tous et immédiatement abouti, la philosophie de l’histoire peut aisément recueillir, dans ce qui suivit en Italie, la trace du génie de Théodoric. Tel est le sort des hommes aspirant à des projets qui dépassent la portée de leurs contemporains ; il semble que leur supériorité leur fasse manquer souvent l’objet de leur poursuite. Ils n’ont point d’égaux pour les comprendre et les aider, et les disciples ne sont pas encore venus. Tout ce qui sera moyen un jour, quand la postérité aura été initiée à leurs secrets, est obstacle. D’ailleurs rien n’est complet dans l’homme, non pas même le génie. Le vague et puissant instinct qui pousse les grands hommes leur indique le but plus que la route ainsi, marchant au-devant des lueurs de l’aurore, ils ne savent point à quelle heure elle se lèvera, ni de quel nuage sortira la splendeur ; souvent ils tombent quand la nuit dure encore. Si le génie ne croyait pas à l’immortalité de sa pensée, sa destinée serait la plus misérable du monde, car, à ne compter que sur la courte durée d’une vie humaine, il serait presque toujours trompé dans ses calculs. Prenez les noms les plus célèbres depuis Alexandre jusqu’à nos jours, et jugez s’il en est un qui ait vu son œuvre consommée ! Instrumens marqués par la Providence pour