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sont trop rares pour qu’elles se comparent à aucunes ; d’ailleurs elles ne sont pas dues au mérite d’un seul homme ; chacun y concourt dans la série des âges. Soixante rois, leurs ministres, leurs guerriers, les grands hommes de tout genre que la France a produits, ont fait remonter vers Clovis un éclat de gloire qu’on ne saurait lui attribuer sans partage ; mais les vertus et les mérites de Théodoric sont tous à lui : il était supérieur à son temps, à ses peuples ; il a seul résolu ce problème de faire vivre ensemble vainqueurs et vaincus dans la concorde et sous la règle de l’égalité. Il a laissé des lois que nous admirons encore aujourd’hui ; enfin il avait donné à l’Italie cette unité qu’elle a perdue sans retour. Son œuvre, à lui, était accomplie, et si, au lieu d’une femme et d’un enfant (Amalasonthe et Athalaric), son sceptre eût passé en des mains vaillantes, dignes de le porter, la gloire même de sa postérité n’eût point manqué à sa propre gloire. J’insiste sur ce point, parce que le jugement de l’auteur sur Théodoric a été récemment contesté. Dans une appréciation remarquable consacrée à l’ouvrage de M. du Roure, on s’est étonné des efforts tentés pour ce qu’on appelle la réhabilitation de Théodoric : « Le succès est presque toujours la mesure de la justice du monde, et il a manqué, a-t-on dit, à Théodoric. » Ce n’est pas le succès qui a manqué à l’œuvre, c’est la durée. Le principe qu’on voudrait établir est sévère. Il rappelle le vœ victis ; il serait triste pour la dignité de la nature humaine et l’impartialité de l’histoire ; vrai ou faux, d’ailleurs, on ne saurait, sans injustice ou sans oubli, l’appliquer à Théodoric. De son vivant, rien ne fut plus éclatant et plus universel que cette renommée qu’on veut obscurcir. On dirait vraiment qu’il s’agit d’un de ces successeurs de Sésostris dont le règne se découvre, avec le nom, sur les pierres mystérieuses de l’Égypte. Placé sur le seuil du monde nouveau, le conquérant législateur de l’Italie a dû occuper tous les historiens, et tous lui ont rendu hommage.

Nous avons cité le jugement de Montesquieu et celui de Voltaire voici un témoignage venu de plus haut, de Charlemagne lui-même, à qui Voltaire comparait Théodoric. Lorsque Charlemagne vint à son tour dans cette Italie, que sa postérité ne garda pas plus que celle du roi ostrogoth, il se fit montrer à Ravenne le tombeau de Théodoric, et voulut qu’on transportât à Aix-la-Chapelle la statue équestre qui surmontait le monument. On aime à voir les génies jugés ainsi par leurs pairs ; l’admiration est facile aux grands hommes ; ils prêtent ce que la postérité leur rendra.

L’œuvre de Charlemagne, dont personne sans doute ne conteste la gloire, a-t-elle eu plus de durée ? Qu’est-il resté de son vaste empire ? Qu’est-il resté de ses capitulaires ? Les guerres civiles de ses fils et l’anarchie