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accréditée qui a fait de Théodoric un persécuteur de l’église. Cette erreur avait été reproduite jusqu’à nos jours, Gibbon lui-même n’a pas osé en faire justice ; mais les travaux de l’école historique allemande lui auront, je le crois, porté un coup décisif. Les écrivains les plus accrédités et les plus récens n’ont pas hésité à adopter l’explication simple et logique de la conduite de Théodoric, telle que nous l’avons exposée : tous ont compris qu’il s’agissait non de religion, mais de politique. Le savant auteur de l’Histoire de l’Église jusqu’au VIIe siècle, Gfroerer, aujourd’hui professeur de théologie à l’université de Fribourg, a traité cette question dans le dernier volume publié cette année. « Aucun Goth, aucun ami, dit-il, n’a écrit l’histoire de Théodoric ; nous ne devons les détails qui nous sont parvenus, notamment sur les dernières années de sa vie, qu’à la plume des catholiques aigris contre sa mémoire. Tous, à la vérité, glorifient les services qu’il a rendus à l’Italie, mais ils présentent la conduite tenue à l’égard de Boëce et de Symmaque comme le résultat de la méfiance la plus cruelle et la plus injuste, en un mot de la plus coupable tyrannie. Pour qui a lu attentivement nos observations sur les événemens qui se passaient en Afrique, il n’est pas douteux que Justinien favorisait en Italie une conspiration qui devait replacer ce pays sous sa puissance. Dès-lors Théodoric avait le droit incontestable de punir, selon la rigueur des lois, ceux de ses sujets qui trempaient dans ces complots. Boëce était-il du nombre des conjurés ? Il serait difficile d’en douter. Il l’a nié dans sa prison ; mais faut-il ajouter foi entière aux paroles de l’accusé ? D’honnêtes gens peuvent avoir, pour juger des crimes politiques, des poids très divers. Boëce pouvait croire à son innocence et être en réalité coupable vis-à-vis du roi goth. Théodoric aurait-il poursuivi ce noble Romain sans aucun droit et sur d’aveugles soupçons ? Pendant un règne de trente-six ans, Théodoric consacra ses efforts à affermir sa domination par une sage et juste administration, et ce même roi aurait détruit son ouvrage dans les dernières années de sa vie, volontairement, sans nécessité ! Rien n’est en vérité moins probable, et l’historien critique ne peut admettre ces accusations[1]. »

Que dirons-nous maintenant des remords que les historiens ecclésiastiques ont prêtés à Théodoric, et de la ridicule légende dans laquelle ils les ont enveloppés ? Si les réflexions qui précèdent ont quelque valeur, il faudra bien, avec le crime, supprimer le remords. On suppose que, six mois environ après les condamnations dont nous venons d’expliquer

  1. Un savant académicien, M. Naudet, qui a écrit sur l’établissement de Théodoric en Italie un essai couronné en 1808 par la classe d’histoire de l’Institut, avait déjà soutenu cette opinion. On peut lire la remarque qui commence par ces mots : « Pour ce qui concerne ces événemens, on ne doit admettre qu’avec réserve les écrits de Procope… Il n’y eut point de persécution. »