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votre synagogue, car nous ne pouvons forcer la religion, et personne ne saurait être contraint à croire malgré lui. Prétendre dominer sur les esprits, c’est usurper les droits de la Divinité. La puissance des plus grands souverains se borne à la police extérieure. »

Pour expliquer ce qu’on appelle la persécution de Théodoric, il faudrait donc supposer une révolution morale qui n’est guère probable. La tolérance n’est point un accident de l’ame, une disposition mobile de l’esprit, qu’une autre foi, une autre conviction puisse soudainement remplacer. Qu’aux temps de nos guerres religieuses un esprit exalté, passant du catholicisme au protestantisme, ou de celui-ci à celui-là, ait apporté dans les deux religions le même fanatisme, ait assassiné tour à tour les partisans de ses anciennes croyances, c’est ce qui est arrivé, c’est ce qui est dans la nature de l’esprit humain ; c’est ce qui, en chargeant les individus, absout la religion des crimes commis en son nom tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle n’a pas été assez forte pour dompter la férocité de ces natures. Mais qu’un philosophe tolérant, et même un peu sceptique, un roi arien, pour lequel le christianisme était une sorte de déisme, soit devenu tout à coup un persécuteur sanguinaire, en vérité la critique ne pourrait admettre un fait aussi contraire aux probabilités philosophiques que sur les plus irrécusables témoignages d’auteurs impartiaux. Or, nous n avons ici qu’un seul récit, celui de Procope, qui écrivait trente ans après le règne de Théodoric, en célébrant les triomphes de Bélisaire, vainqueur des Ostrogoths !

C’est sur la foi de cet auteur d’une véracité si problématique, qui écrivait son histoire secrète à côté de l’histoire officielle où il exaltait les vertus de Justinien et de la courtisane Théodora, que les annalistes du moyen-âge, se copiant les uns les autres, copiés à leur tour par les historiens modernes, ont parlé de persécution. On aurait certainement trouvé des autorités suffisantes à opposer à celle de Procope : je n’en veux pour preuve que la proclamation adressée au sénat et au peuple romain, lors de l’avènement du petit-fils de Théodoric ; cette proclamation nous montre bien quel était le jugement que les Romains portaient sur ce prétendu persécuteur. Dans ces jours de flatteuses promesses et d’espérances trop souvent trompées, le successeur de Théodoric ne trouvait rien qui pût valoir, aux yeux des peuples, l’engagement qu’il prenait de gouverner comme son aïeul bien-aimé : « Si c’était un étranger qui héritât de l’empire, vous pourriez peut-être douter qu’il vous aimât, comme faisait son prédécesseur ; mais, ici, la personne seule est changée, les sentimens ne le sont pas. Nous voulons, pour votre bien, nous repaître des vertus et des bienfaits que notre vénérable aïeul a répandus sur vous ; on ne saurait faillir en suivant un tel modèle. »

J’ai dû accumuler les inductions morales pour combattre l’erreur