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contemporains. Quelle idée trompeuse donneront alors de notre époque les historiens qui devront resserrer en quelques pages les massacres de la ligue, les troubles de la fronde, les crimes et les grandes guerres de la révolution terminées par la catastrophe de Moscou ! Dans cette rapide revue, dans cette course haletante, nos petits-enfans oublieront quelquefois ces jours de prospérité et de loisir où l’esprit humain avait peut-être atteint le plus haut degré de développement, où une société brillante et polie se livrait avec une sécurité complète à toutes les joies du présent. Ces erreurs de perspective sont inévitables : les objets placés près de nous nous dérobent les autres, ou ne nous laissent voir que quelques points culminans. Quand vous entrez dans un pays de montagnes, l’œil n’aperçoit d’abord que les sommets qui s’élèvent à l’horizon ; vous n’avez devant vous qu’une décoration fantastique : ce n’est point là le pays que vous voulez connaître ; mais, si vous montez sur une de ces hauteurs, alors vous découvrez les vallons et les plaines qui s’étendent entre les montagnes ; chaque objet reprend sa vraie proportion, son rapport avec ceux qui l’avoisinent ; au milieu des cimes couronnées par les neiges ou frappées par la foudre, vous voyez aussi les prairies et les hameaux paisibles d’où monte doucement la fumée.

Après la pacification de l’Italie par Théodoric, ses contemporains pouvaient se croire arrivés à un de ces intervalles de repos que la Providence accorde quelquefois au genre humain ; on renaissait, on se laissait aller à l’espoir et à la sécurité. Quand nous regardons l’histoire avec la lumière que le dénouement connu répand sur les premières scènes d’un drame, nous avons peine à nous mettre dans l’heureuse ignorance des acteurs ; nous nous étonnons de leur confiance, nous ne doutons pas de notre instinct supérieur, nous n’imaginons pas qu’il eût pu être mis en défaut par les événemens. Les plus habiles s’y trompent cependant, ceux même qui vivent au sein des affaires : Les premiers auteurs de la révolution française annoncent toujours dans leurs mémoires que la révolution est décidément terminée. « Telle fut, » dit Rabaud de Saint-Étienne dans son histoire de l’assemblée constituante, qui se séparait au moment où il écrivait, « telle fut la fin de cette grande révolution. » Ne nous récrions donc pas si, au commencement du VIe siècle, quelques années avant les guerres sanglantes de Bélisaire, si près de l’invasion des Lombards, à la veille du sac et du pillage de Rome par Totila, des esprits éclairés ont cru aussi que la révolution était terminée. « À présent que Rome goûte une paix profonde, les vertus guerrières ne sont plus de saison ; nous n’avons plus qu’à jouir de la paix assurée par le courage des vainqueurs, et à oublier les malheurs qui auront établi la félicité de nos enfans. » Telles étaient les paroles que l’évêque de Pavie, Ennode, adressait, dans la première