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compromettre si fort une si mauvaise cause, il faut être bien convaincu ; un avocat moins honnête aurait eu plus de talent : il eût sauté les endroits périlleux ; M. de Courson est tout fier d’y tomber. Après cette réserve que je fais de grand cœur au bénéfice de la personne, je dois pourtant confesser que la destinée du livre me paraît des plus singulières. Soumise en 1840 aux suffrages de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, concourant déjà pour le prix Gobert, la première édition ne réussit pas ; elle se nommait : Essai sur l’histoire, la langue et les institutions de la Bretagne armoricaine. L’auteur la refit en 1843, et l’intitula : Histoire des origines et des institutions des peuples de la Gaule armoricaine et de la Bretagne insulaire, depuis les temps les plus reculés jusqu’au cinquième siècle. Le titre, à vrai dire, s’était plus allongé que l’ouvrage, et cette seconde édition, revue et augmentée, présentée au même concours que la première, n’eut pas une meilleure chance. La troisième devait être plus heureuse, et l’Académie a sans doute voulu récompenser M. de Courson de la ténacité toute bretonne avec laquelle il en appelait une fois encore à ses juges mieux informés ; c’était un beau trait de caractère, sinon d’érudition. Le livre avait d’ailleurs subi les changemens essentiels que voici. Il porte maintenant ce titre un peu compliqué : Histoire des peuples bretons dans la Gaule et dans les Iles Britanniques, langues, coutumes, mœurs et institutions. Il contient d’abord textuellement et littéralement l’ouvrage entier de 1843, puis certaines additions qui ont fait, selon toute apparence, l’unique différence de mérite entre le candidat battu de 1843 et le lauréat victorieux de 1846, à savoir : un chapitre d’insinuations fort désobligeantes pour M. Augustin Thierry, un chapitre de critiques des plus acerbes contre M. Michelet, un chapitre d’attaques presque personnelles contre M. de Rémusat en particulier, et en général contre tous ses collègues de la section de philosophie. Vient en sus, car je me reprocherais de rien oublier, vient un épilogue dans lequel M. de Courson montre à nu l’ingratitude naturelle des rois de France, et prouve suffisamment la sottise impuissante de Mirabeau et consorts. Le tout se termine par un cri d’alarme qui a remué, j’imagine, les bruyères de la Vendée : M. de Courson appelle les chouans à la rescousse contre M. Thiers et « les unitaires de l’école impérialiste. » Il paraîtrait que c’était là ce qui, jusqu’à présent, manquait à son travail : l’Académie, le jugeant enfin complet, l’a cette fois couronné. Il est vrai qu’elle n’a pas dit pourquoi.

Je respecte trop la docte compagnie pour chercher à pénétrer les mystères de son intérieur, et je m’incline devant son choix ; j’avoue que c’est sans comprendre. M. le baron Gobert eut, en méditant ses dernières volontés, l’imprudence de rêver à lui seul que chacune des années qui suivraient son testament produirait un ouvrage « savant et profond » entre tous sur l’histoire de France. Plus je lis et je relis les volumes