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deux administrateurs de la Santé ne peuvent pas se regarder sans rire, il est permis d’espérer que l’utilité de ce beau travail sera bientôt agrandie. Il aura le sort de toutes les choses vraiment bonnes, et présentera des avantages que ses fondateurs eux-mêmes n’avaient pas prévus. Affranchi de la servitude des quarantaines, le Frioul deviendrait ce que son isolement et sa proximité des bassins de Marseille lui commandent d’être, l’avant-port de ces bassins et l’entrepôt réel le plus sûr, le plus commode et le mieux situé du monde commerçant. Sous l’égide de l’industrie et de la liberté, les dentelures profondes des îles qui l’encadrent se garniraient de quais et se convertiraient en autant d’abris d’une sûreté parfaite ; leurs pentes rocailleuses s’aplaniraient, le désert se couvrirait de constructions, et notre premier port aurait pour annexe immédiate une place de libre échange que la marine marchande de la Méditerranée prendrait, aux applaudissemens des protectionistes les plus arriérés, pour rendez-vous général[1].

Les marchandises placées en entrepôt se divisent entre l’admission à la consommation intérieure, le transit, et l’exportation par mer : pour celles qui reçoivent les deux premières destinations, les vices du régime actuel et l’humiliante infériorité de l’entrepôt de Marseille vis-à-vis de ceux de l’Angleterre et de la Hollande sont supportables ; pour celles qui sont réexportées, les gênes, les formalités, les abus qu’entraîne après soi la mauvaise appropriation des lieux, se traduisent en frais assez considérables pour comprimer l’essor de cette branche de commerce. Une ère nouvelle lui serait ouverte par la transformation du port du Frioul en un immense dock. Assez voisin de la ville pour profiter de son riche marché, trop isolé pour que le sacrifice d’aucune liberté commerciale y fût nécessaire à la répression de la contrebande, le Frioul aurait pour la France tous les avantages d’un port franc sans aucun de ses inconvéniens. L’Italie et l’Espagne, le Levant et l’Afrique, la Russie et l’Angleterre, y viendraient échanger leurs marchandises, sans interventions fiscales, sans lenteurs administratives, et les produits de notre industrie ne manqueraient pas d’entrer dans le courant de leurs transactions. Les avantages de cet état de choses ne seraient pas exclusivement commerciaux : la paix du monde acquerrait de nouvelles garanties dans cet entrelacement d’intérêts, et la France ne perdrait rien sans doute à ce que les nœuds en fussent formés entre ses mains.

Quelle serait la masse des échanges qui s’effectueraient au Frioul ? On peut tout au plus apprécier l’étendue des opérations actuelles. Il passe annuellement aujourd’hui par l’entrepôt de Marseille pour 200 à 250 millions

  1. Les îles de Pomègue et de Ratonneau ont chacune 2,700 mètres de longueur sur environ 250 de largeur moyenne : ainsi, leur superficie est de 135 hectares. Le Frioul est à 4,500 mètres ouest sud-ouest du port de Marseille.