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de positif et d’exact ; dressez le bilan de leurs fausses richesses beaucoup de phrases creuses et pas mal d’injures.

Que tout cela doive un jour tomber sous le ridicule, je le crois certes bien ; mais qu’à force de ridicule, tout cela soit dès à présent inoffensif, je le nie très haut. Cette école prétentieuse de petits politiques à larges vues contribue tant qu’elle peut à plier l’esprit public de travers, et favorise naturellement toutes les velléités de réaction, en atténuant le respect des institutions existantes. C’est là pour elle un double triomphe dont elle se glorifie.

Et d’abord, en effet, quelle merveilleuse confusion ! Quand la restauration célébrait le gothique, elle y allait de bonne foi et tout d’une pièce ; elle avait son drapeau blanc à la main et l’on savait ce que parler voulait dire. Elle ne se piquait pas de mieux entendre la liberté que les libéraux ; le beau nom de libéral ne comportait pas alors tant de sens divers qu’aujourd’hui, et nul ne le prenait qui ne fût ami sûr de son pays et de son siècle : ce vieux libéralisme est depuis long-temps hors de mode, et c’est de bon goût d’en rire, tant il était vulgaire. Admirons plutôt celui qu’on nous prêche ! Célébrer pieusement l’heureux âge où des provinces privilégiées ne payaient d’impôt qu’à leur corps défendant ; canoniser ces fiers gentilshommes qui conspiraient au besoin avec l’étranger contre le roi de France ; dénoncer, dans l’amertume de son ame, les plaies dévorantes de l’époque, le communisme et le paupérisme, pour regretter à son aise la charité des couvens et les biens du clergé ; invoquer d’un air sombre le dogme républicain de la souveraineté du peuple, la loi suprême du salut public, pour justifier les exécutions de la Saint-Barthélemy et la rigueur des auto-da-fé, voilà ce qui s’appelle du libéralisme intelligent et impartial ! Il n’y a plus hors de là que des voltairiens, et celui qui ne sait à propos donner une main à Robespierre et l’autre à de Maistre, celui-là n’a qu’un esprit bien étroit. Oui, certainement, aujourd’hui que la conscience publique vacille, pour ainsi dire, et ne s’attache à quoi que ce soit d’assez solide pour la rassurer, oui, c’est un trouble de plus que ce mélange adultère de choses antiques et de mots nouveaux.

Autre mal encore. Dans cette ère de transition politique et sociale où nous sommes maintenant comme arrêtés, il en est qui, ne voulant plus avancer et ne pouvant pas reculer autant qu’ils le voudraient, se sont pris d’un beau dégoût pour toute notre machine : à leur sens, notre démocratie monarchique n’aurait plus en elle la foi qui fait vivre, elle s’en vanterait même à huis-clos, et ses représentans les plus officiels seraient souvent les plus découragés. Ce désespoir sied bien, quelquefois il rapporte ; on craint surtout le zèle aujourd’hui, et l’on n’aime pas qu’il s’en glisse trop nulle part, fût-ce au service des institutions.