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ambitions, c’était la mère de toutes les libertés ; ce gouvernement féodal construit pièce à pièce, né du hasard ou de la force, utile en son temps, détestable après, c’est le chef-d’œuvre de l’esprit humain ; ce monde brutal, où l’homme d’épée s’arrogeait tous les droits qu’il pouvait et ne remplissait de devoirs que ceux qu’il voulait bien remplir, c’est un monde de grace et d’amour ; ce pays hérissé de prétentions égoïstes, traversé par mille barrières, coupé dans tous les sens par les âpres rancunes de province, de ville et de clocher, c’était une patrie plus vivante et plus chérie que la nôtre. Le cœur parlait alors ! il unissait tout ; la divine puissance des instincts primitifs rapprochait seule les membres de cette association fraternelle ; il n’était besoin ni de discussion ni d’écriture ; il y avait de loyaux suzerains, des vassaux dévoués, et les avocats ne régentaient personne ; l’art y gagnait en même temps que la morale.

On se rappelle peut-être cette réaction moitié sentimentale et moitié littéraire qui, sur la fin de l’empire et à certain moment de la restauration, remit en si grand honneur les beautés de la chevalerie. La fantaisie du temps s’arrangeait des Amadis, et, pour habiller ces paladins peu historiques ; elle empruntait sans scrupule, soit aux braves de la jeune garde, soit aux voltigeurs de l’armée de Condé. On s’était fabriqué tout un moyen-âge à sa guise, où l’héroïsme et la politesse régnaient comme un éternel printemps. On y trouvait bien çà et là quelque traître de mélodrame à l’instar du fameux Ganelon de Mayence ; mais il était de rigueur que les héros ressemblassent au Gonzalve de M. de Florian, et les châtelaines, les pastourelles, quelquefois opprimées, toujours vertueuses, traversaient à propos cette époque guerrière comme de blanches et bienfaisantes apparitions. Le Génie du Christianisme avait exalté les ames, et la mode, qui gâte les plus vrais succès, s’était jetée sur les splendeurs du culte catholique pour y chercher des émotions et des décorations d’opéra. On était ainsi arrivé à prendre tout ce vieux monde par le côté déclamatoire, à substituer dans les descriptions l’idéal au vrai, à supprimer le réel ou à le traduire en périphrases, comme Delille quand il versifiait ; l’historien était tenu de s’accompagner sur la lyre, et la lyre était toujours accordée sur le mode pompeux. Feuilletez seulement la Gaule poétique et Tristan le Voyageur, ces œuvres trop aimables de cet homme d’esprit mignard et de passions violentes qui s’appelait M. de Marchangy : vous y apprendrez la Gaule barbare et féodale, à peu près comme on pourrait se figurer l’antiquité classique d’après le style grec du directoire, et l’Orient d’après le style égyptien du consulat.

Voilà certes une science qui nous semble bien pitoyable du haut de cette érudition que nous avons aujourd’hui entassée ; mieux valaient pourtant ces innocens travers que nos travers d’aujourd’hui. Il y avait