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REVUE DES DEUX MONDES.

MM. Currie, Lawrence et Edwards furent priés d’y assister au nom du gouvernement anglais. L’aristocratie civile et militaire des Sikhs y était représentée par plus de soixante-dix chefs, généraux, fonctionnaires ou gouverneurs de provinces. Il y fut décidé à l’unanimité qu’on supplierait le gouverneur-général de vouloir bien laisser à Lahore un corps d’armée de dix mille hommes pendant toute la durée de la minorité du maharaja, sous les conditions suivantes 1° il n’y aurait plus pendant le cours de cette minorité d’autre vizir et d’autre régent que le chargé d’affaires anglais ; 2° les frais de ce corps d’armée, évalués à 250, 000 liv. sterling par an, seraient à la charge de l’état de Lahore ; 3° toute l’administration civile du royaume serait abandonnée aux Anglais, les employés supérieurs sikhs devant être maintenus dans chaque département, mais sous la surveillance et sous l’autorité directe du colonel Lawrence.

Ces conditions ayant été définitivement acceptées, le traité établissant les nouvelles relations entre les deux gouvernemens fut signé à Amritsir le 22 décembre, anniversaire de la bataille de Ferozesha, par le gouverneur-général et le maharaja en personne, en présence du commandant en chef. Lord Hardinge reconduira son jeune protégé jusqu’à Lahore. Dhalip-Sing est aujourd’hui un enfant de sept ans ; l’époque de sa majorité est fixée à sa dix-septième année. C’est donc pour une période d’au moins dix ans que le Penjaub proprement dit, c’est-à-dire le pays des cinq rivières, est absorbé dans les possessions de l’Inde anglaise. Mais un peuple qui a vécu sous un gouvernement civilisé, quelque oppresseur qu’il soit, ne peut plus se faire aux caprices d’un despote barbare. Il ne faut donc pas se le dissimuler, le royaume de Lahore a bien réellement disparu du monde politique. Désormais, et pour toujours, il a fait place à une nouvelle province anglaise. Réjouissons-nous-en pour le bonheur de l’humanité, et sachons voir sans envie un grand succès obtenu cette fois par une sage politique.

Le premier acte du ministère sikh, agissant sous l’influence du chargé d’affaires britannique, a été l’abolition dans tout le Penjaub de deux coutumes barbares, restes de la vieille civilisation indienne, l’infanticide et le sutti, ou le sacrifice des veuves sur le tombeau de leurs maris. Quant à Ranie-Chanda, dont les lecteurs de cette Revue n’ont pas oublié la bizarre et dramatique histoire[1], l’article 10 du traité lui assure, comme mère du maharaja, une pension annuelle de 15,000 livres sterling. Il est probable, et c’est, dit-on, le désir du gouvernement anglais, qu’elle abandonnera Lahore pour rejoindre son amant exilé, Lal-Sing, et qu’elle finira ses jours avec lui aux environs de Calcutta ou de Benarès.


V. de Mars.
  1. Voyez la livraison du 1er  mai 1846.