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wards, premier secrétaire de la légation, ne trouvant pas immédiatement sous sa main la garde de cipayes de la compagnie désignée pour escorter le prisonnier, chargea de ce service les mercenaires qui avaient été jusqu’à ce moment à la solde du ministre déposé. Ceux-ci s’acquittèrent de cette mission avec le même empressement que s’il leur eût paru tout naturel de conduire leur ancien maître en prison.

Toutefois on était loin d’attendre le même sang-froid de la ranie Chanda, qui, pour son amant Lal-Sing, avait cent fois risqué sa vie et celle de son fils, versé tant de sang et vu massacrer presque sans regrets son frère et ses plus fidèles serviteurs. Aussi se garda-t-on de lui annoncer le jour même la double nouvelle de la déchéance et de l’éloignement de son favori. On commença par changer la garde du palais, composée de deux mille hommes qui lui étaient dévoués ; on la remplaça par des troupes sûres, choisies dans le parti opposé. Non content de cette précaution, on licencia toutes les milices qui formaient la garde de la reine et de Lal-Sing, on leur paya leur arriéré de solde, et on les fit sortir de la ville. Puis, le 4 au soir, M. Currie, le colonel Lawrence et les membres du nouveau ministère sikh se rendirent auprès de la reine et lui firent part des événemens de la journée précédente. La scène fut des plus dramatiques. Bondissant sur la couche où elle était assise et agitant un poignard, Ranie-Chanda appela d’abord sa garde pour courir sus aux Anglais et aux traîtres, comme elle désignait dans son langage énergique les nouveaux ministres ; puis, ne retrouvant plus autour d’elle les visages de ses condottieri, elle fondit en larmes et s’épancha en plaintes amères, qui rappelaient les imprécations d’Athalie surprise dans le temple.

Un nouveau gouvernement était ainsi installé à Lahore sans effusion de sang ; mais il n’avait pas encore eu le temps de se reconnaître, lorsque le chargé d’affaires britannique lui communiqua, de la part de lord Hardinge, la nécessité où se trouvait le gouvernement anglais de retirer dans le courant du même mois (le mois de décembre) ses troupes du Penjaub, conformément aux stipulations du traité du 9 mars 1846. Cette déclaration, bien qu’elle ne fût pas inattendue, fut reçue comme un coup de foudre par les chefs sikhs, qui ne voyaient aucun espoir de se maintenir ou même d’échapper à une anarchie sanglante et peut-être à un massacre général, du moment où l’armée anglaise cesserait de contenir par sa présence les mauvaises passions de la soldatesque et de la populace. Le 13, ils firent une première offre au chargé d’affaires britannique, lui demandant de prolonger, de fixer même son séjour à Lahore, sous la protection d’un petit corps de troupes anglaises que le gouvernement sikh s’engagerait à solder. Cette offre fut immédiatement et péremptoirement rejetée par lord Hardinge, comme tendant à amener l’état de choses qui s’était déjà produit dans les royaumes d’Onde et d’Hyderabad, où les gouvernemens indigènes, assurés de l’impunité, tyrannisaient impitoyablement leurs sujets.

Le 14, un régiment anglais se mit en route pour Firozepour, et les autres corps reçurent l’ordre de se tenir prêts à marcher dans la même direction. Ces démonstrations ne laissaient aucun doute sur l’intention du gouverneur-général. Le ministère sikh convoqua dès-lors une assemblée de tous les chefs qui avaient encore quelque chose à perdre dans de nouvelles commotions civiles.