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aura plu de les entendre à Saint-Pétersbourg. En même temps que l’on signifiait cette déclaration, les troupes autrichiennes se formaient en cordon sur la frontière, et Lucerne poussait avec vigueur des armemens qui sont une menace. Le vorort, dignement inspiré, n’en a pas moins répondu qu’il n’avait point de responsabilité vis-à-vis des puissances étrangères, mais vis-à-vis de ses confédérés, dont il devait avant tout sauvegarder l’indépendance nationale. Que disent les trois cabinets alliés ? Il n’y a pas de Suisse s’il n’y a pas de cantons souverains libres de la déchirer ; la Suisse n’a point le droit de modifier son pacte intérieur, et les gouvernemens absolus sont les juges naturels de toutes les questions particulières soulevées dans le sein des nations. C’est là le principe russe avec lequel on intervient partout sous air de moraliser le monde ; c’est toujours la même prétention avec laquelle les gouvernemens absolus s’instituent à la face de l’Europe les préservateurs de la paix publique, les défenseurs naturels de l’ordre, de la religion et de la légitimité. Il faut qu’on se croie aujourd’hui bien fort à Pétersbourg et à Vienne, ou que l’on compte beaucoup sur la brouille de Paris et de Londres. On oublie seulement qu’entre deux nations comme l’Angleterre et la France il y a quelque chose de plus fort pour unir que ne sont forts pour diviser les griefs passagers de personne à personne : nous voulons parler de cet intérêt commun qui fait des mêmes principes politiques une question d’existence et d’autorité matérielle pour les deux pays. Il y a là une alliance qui ne saurait se briser avec les ministères, parce qu’elle est tout le fond de la situation européenne. C’est ainsi que l’Angleterre et la France se sont trouvées forcément rapprochées dans une action analogue sur le terrain suisse, lorsque la Russie, la Prusse et l’Autriche ont pris si nettement position. Ni l’Angleterre ni la France ne pourraient sacrifier la cause libérale en Suisse sans abdiquer une portion de leur influence européenne, et nous ne serions pas étonnés qu’après les indécisions de ces derniers temps la France rivalisât aujourd’hui de bons procédés avec l’Angleterre vis-à-vis du vorort. Il y aurait un grand danger pour la France, il faut bien qu’on le sache : ce serait que le cabinet britannique se substituât à elle soit en Suisse, soit en Allemagne, comme le vrai représentant des principes constitutionnels ; ce serait qu’il nous désignât en Allemagne comme les futurs alliés de l’Autriche et de la Russie. Si la Prusse pouvait croire que l’avènement de sa constitution la rapproche encore plus de l’Angleterre que de la France, si quelque alliance anglo-germanique se concluait ainsi au nom et sous les auspices de la liberté, la politique française aurait désormais à lutter au-delà du Rhin contre des embarras d’un ordre tout nouveau.

C’est du moins une singulière coïncidence que ce bruit d’un concert plus étroit entre l’Angleterre et la Prusse répandu, non sans fondement, au moment même où le roi Frédéric-Guillaume dotait son peuple de ces règlemens administratifs qui voudraient ressembler à une constitution. Il est triste de songer que la première tentative qu’on hasarde à Berlin dans des voies meilleures semble ainsi tout exprès balancée par la froideur des sentimens qu’on témoigne à la France. L’on ne peut pas prendre plus de précautions que n’en a pris sa majesté prussienne pour nous bien informer que son rouvre n’est pas une œuvre française. Les ordonnances sont datées du 3 février, jour anniversaire du grand mouve-