Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veut évidemment écarter de la nationalité génevoise ce qu’elle avait d’exclusif et d’hostile aux étrangers, ce qui tendait à l’isoler toujours davantage au milieu de la fédération ; c’est là, selon nous, comprendre la situation nouvelle et satisfaire aux exigences de la bonne harmonie helvétique sans tomber dans les impossibilités d’une Suisse unitaire. L’autre intention qui semble avoir inspiré les réformes aujourd’hui débattues, c’est la pensée de supprimer tout intermédiaire efficace entre la masse du peuple et le conseil d’état, pouvoir exécutif ; de donner non pas seulement en principe, mais en pratique continuelle, une prépondérance absolue au peuple entier, formant un conseil général, sur ses représentans, formant, comme jadis, le grand conseil : les représentans se trouveraient ainsi presque annulés entre l’administration d’une oligarchie et les votes sans cesse menaçans d’une multitude. Nous croyons qu’il y a là un danger que les auteurs du projet n’ont pas assez pesé. Si assurés qu’ils soient aujourd’hui des suffrages de leurs concitoyens, ils ne devraient pas oublier qu’il est toujours imprudent d’anéantir les minorités ; n’est-ce pas de pareilles élections populaires, sans tempérament et sans contre-poids, que sont sorties les aristocraties de la vieille Suisse ? Le rôle actuel de Genève, et il est assez beau, et jusqu’ici elle-même ne l’a pas démenti, c’est de tenir le milieu, par ses institutions comme par ses actes, entre l’immobilité inintelligente du gouvernement des momiers et les folies des utopistes. Nous aimons à voir que M. Fazy termine son rapport en déclarant à la face des chers confédérés de Vaud que « le plus haut degré de liberté pratique est aujourd’hui le meilleur moyen de résoudre les questions sociales embarrassantes. » Il nous a même semblé assez piquant de découvrir que nos socialistes parisiens aient inutilement cherché à faire entrer leurs idées sériaires dans la constitution génevoise ; malgré les prédications et la propagande, Genève n’a pas voulu du vote par groupe d’opinions.

Bâle restera certainement aussi dans ces voies de bon sens et de froide raison. Quand elle a révisé sa constitution, c’était simplement pour changer le personnel de son gouvernement ; les hommes qui dirigeaient les affaires s’étaient mis à la suite de cette fausse politique de l’ancienne administration génevoise, et, en haine du radicalisme, ils avaient tendu la main aux jésuites. Quand éclata la révolution de Genève, ils perdirent courage et se livrèrent en quelque sorte à leurs successeurs plutôt qu’on ne les leur imposa ; depuis, tout est resté tranquille. La richesse proverbiale de Bâle, l’influence de son université, son établissement central des missions évangéliques allemandes, tels sont les contre-poids qui balanceront toujours, dans cette antique cité, les emportemens de l’esprit radical et l’empêcheront d’y prévaloir sans empêcher la cause libérale d’avoir gagné une voix de plus.

Si de la situation intérieure nous passons maintenant aux relations de la Suisse avec l’étranger, il nous parait vrai de dire qu’elles sont entrées dans une phase nouvelle. Les trois puissances du Nord, après avoir violé les traités de Vienne à Cracovie, ont prétendu les interpréter à leur guise en Suisse, et fixer les conditions auxquelles, pour ainsi dire, elles consentaient à respecter la nationalité d’un peuple libre placé aux portes de la France. « La bienveillance de la Russie » à l’égard du corps helvétique ne subsistera qu’autant que le corps helvétique pratiquera chez lui les traités de Vienne selon l’esprit dans lequel il